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Pétersbourg, et Pierre le Grand veille toujours, au milieu des brouillards, sur sa création de la Neva.

Nous n’insisterons pas sur ces témoignages de l’instinct naturaliste des Slaves, tels que nous les offre le gouslo. Ce que nous voulions montrer par quelques exemples, c’est le lien étroit qui existe entre la poésie populaire des Slaves et leurs tendances nationales. Nous ne savons pas de meilleur moyen d’expliquer comment l’influence de cette poésie a passé du domaine de la vie de famille dans celui de la littérature savante. Il nous reste à indiquer une dernière cause du prestige qu’exerce le gouslo : c’est son intime union avec la musique.

Chez les anciens Grecs comme chez les Hébreux, les sons de la lyre et de la harpe étaient l’accompagnement obligé de la poésie populaire. Chez les Slaves, le gouslar ne peut dire ses vers sans s’accompagner d’un instrument. Toute rapsodie héroïque se chante d’après un récitatif musical, qui se laisse facilement noter, et qui a du rapport avec le plain-chant des psaumes. La musique du gouslo est sans doute quelque chose de très élémentaire, de très borné. Son matériel se réduit à trois ou quatre instrumens. Il y a la gouslé, la tambura, la duda et les différentes espèces de svira, flûte ou flageolet. La svira la plus commune est un long chalumeau très simple, à sept trous, qui se joue avec les deux mains, et dont le son, à la fois plaintif et perçant, provoque la rêverie. On voit pendre cette svira à la ceinture de tous les pâtres. Elle leur est aussi nécessaire que la houlette pour conduire leurs troupeaux, habitués à ne marcher qu’au son de la flûte. La duda est une espèce de cornemuse dans le genre de celle de nos montagnards de l’Auvergne et du Poitou. La duda préside souvent aux fêtes des villages, elle donne le signal des danses, parfois aussi elle conduit les bandes rustiques à la moba ou aux travaux champêtres exécutés en commun. Quant à la tambura, instrument plus perfectionné, et qui, inférieur cependant au violon, est du moins plus mélodieux que nos guitares, on ne la trouve guère qu’entre les mains des femmes.

En quelque lieu qu’on l’écoute, dans les forêts comme dans les villes, un charme singulier s’attache à cette musique primitive, et l’on se sent comme transporté par ses mélodies dans un monde antérieur, plein de paix et d’innocence. Chez les Slaves orientaux, un seul homme chante d’ordinaire pendant que les autres écoutent; chez les Slaves de l’ouest, la piesna se chante à deux. Celui qui imite la voix de femme commence d’un ton criard et très élevé; l’autre suit en faisant la basse, et traîne la finale de chaque vers en attendant que le ténor commence le vers suivant. Deux Illyriens des Alpes sont capables de rester ainsi immobiles, assis ensemble une