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succès de la première entrevue, quelle joie lorsqu’elle eut si bien réussi ! « On vous supplie, écrit Mlle de Vertus à Mme de Sablé, de faire en sorte que votre ami (l’abbé Singlin) vienne demain ici. Il faut qu’il vienne en chaise et qu’il renvoie ses porteurs; je lui donnerai les miens pour le reconduire où il lui plaira. On le mettra dans une chambre où personne ne le verra. Une fille l’attendra sur la porte de la salle. On ne lui demandera pas qui il est. Ainsi, ma bonne madame, il ne doit craindre aucun embarras. Je demande seulement de savoir l’heure précise, afin de me défaire des étrangers qui peuvent estre avec moi. S’il vient en chaise, qu’elle entre dans la cour tout droit. J’ai grande envie que cela soit fait, car cette pauvre femme n’a pas de repos. Si je la puis voir en de si bonnes mains, j’aurai une grande joie, je vous l’avoue. Il me semble que je serai comme ces personnes qui voyent leurs amies pourvues et qui n’ont plus qu’à se tenir en repos.» — « Vostre amie est tellement satisfaite de la conversation, qui dura trois heures, qu’elle n’étoit plus elle-même quand je la retrouvai. Je passai quelques petits momens avec lui (Singlin); mais comme il avoit besoin de parler longtemps avec vostre amie, je ne voulus pas user sa voix, et je me mortifiai en le quittant, car il me disoit des choses admirables. » — «Vous saurez plus particulièrement de Mme de Longueville comme elle est satisfaite de la conversation de M. de Montigny (c’était le nom qu’avait pris Singlin); elle me dit qu’elle avoit trouvé la dernière facilité avec lui et une solidité admirable, enfin tout ce qui est nécessaire à un véritable directeur. »

Fontaine nous apprend comment Singlin régla à la fois et tempéra la piété de Mme de Longueville. Il nous raconte leurs entretiens sur les points les plus délicats de la vie chrétienne, et nous avons fait connaître ailleurs les belles réflexions que mit par écrit la sincère pénitente, par l’ordre même de son directeur, à la suite d’une confession générale qu’elle fit en novembre 1661[1]. C’est Singlin qui, en 1663, à la mort de son mari, lui représenta que son principal devoir était de se consacrer à l’éducation de ses enfans, et l’empêcha de quitter le monde, comme elle le désirait et l’avait promis à ceux qui la gouvernaient précédemment. Sous cette main ferme et habile, les deux amies firent des progrès rapides; mais bientôt elle leur manqua : Singlin mourut le 17 avril 1664. Sacy lui succéda jusqu’à ce que lui-même fut arrêté, le 14 mai 1666, en se rendant à l’hôtel de Longueville, et mis à la Bastille, pour n’en sortir qu’en 1669, à la paix de l’église.

La signature du fameux formulaire fut, comme on le sait, l’écueil où Port-Royal pensa périr. Sans nous engager dans l’histoire

  1. Quatrième série de nos ouvrages, Littérature, t. III, p. 201.