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compliquée de cette affaire, qui dura dix années[1], il suffira de rappeler que le formulaire se pouvait diviser en deux parties : l’une dogmatique, où était résumée la doctrine déclarée contraire à la foi, et qu’on voulait proscrire; l’autre, purement historique, où cette doctrine était attribuée à Jansénius. En signant tout le formulaire, on s’engageait sur un point de théologie qui était de la compétence de l’église, et où elle avait droit d’exiger la soumission de tout fidèle, et en même temps sur un point d’histoire dont elle n’était pas plus juge que de tout autre fait non révélé, où nul fidèle n’était tenu d’avoir un avis, et ne pouvait en avoir un, pour ou contre, qu’après avoir lu l’Augustinus. Il est évident qu’exiger la signature sur le second point était une nouveauté et une tyrannie; il n’est pas moins évident que perdre Port-Royal, rompre l’obéissance, pour une chose qui n’intéressait pas la foi, où la déférence et, comme on disait alors, une soumission de respect et purement humaine était seule demandée, était une résolution médiocrement prudente.

Nous peindrons d’un seul trait toute la différence de Port-Royal et des Carmélites, en disant que les Carmélites, prieure, sous-prieure et religieuses, signèrent à l’unanimité tout le formulaire sans hésiter et sans distinguer, tandis qu’à Port-Royal il y eut bien des délibérations, que Pascal et Domat furent d’avs de ne rien signer, de périr plutôt que d’accepter le formulaire dans aucune de ses parties, que Nicole et Arnauld jugèrent qu’on pouvait en sûreté de conscience le signer tout entier, particulièrement en distinguant le droit et le fait, que les religieuses ne signèrent qu’avec cette distinction, et qu’encore Jacqueline Pascal mourut de douleur d’avoir donné une signature entourée de tant de réserves : en sorte que, dans l’opposition de ces deux conduites, on ne sait ce qu’on doit le plus admirer, ou de l’humilité sans limites des unes ou de la courageuse sincérité des autres.

Sur cette question délicate. Mme de Longueville a passé successivement par les opinions les plus diverses, à commencer par la plus raisonnable, à finir par la plus hardie.

On pense bien que la sage marquise de Sablé fut toujours d’avis de la signature pure et simple, et Mme de Longueville partagea cet avis au début de son jansénisme. Quand elle apprit que Port-Royal était divisé, et que plus d’une religieuse répugnait à signer, elle en fut épouvantée, prévoyant le parti qu’on tirerait d’une pareille conduite. Elle écrit à Mme de Sablé le 23 mai 1661 : « Cet incident que

  1. Pour tout ce qui regarde l’histoire de Port-Royal, nous renvoyons le lecteur à l’excellent écrit de Racine, que Boileau regardait « comme le plus parfait morceau d’histoire que nous eussions en notre langue. » C’est en effet un petit chef-d’œuvre de clarté, d’exactitude, de sobre élégance. La bonne édition est celle de 1767, in-12.