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maîtres de la position, qu’ils possèdent le cœur du roi par le père Annat, son confesseur, et que tout le monde ploiera devant eux. Elle part de là pour s’animer dans la résistance, comme elle faisait autrefois contre Mazarin victorieux. Elle va jusqu’à rejeta sa première opinion sur la convenance de la signature : déplorable effet de la persécution sur les âmes généreuses ! «25 juin 1664. Je n’attends rien de ce pourparler d’accommodement, car la même raison qui a obligé M. l’archevesque de faire ce galimatias mandement l’empeschera de le démesler par une explication publique. Le père Annat ne veut pas la paix; M. l’archevesque ne la fera pas. » — « Je suis tout à fait convaincue; je la suis, si j’ose le dire, par le bon sens, et je la suis particulièrement, parce que d’abord j’ai pensé tout comme vous. Il est vrai que je suis changée par les escrits et qu’à présent je crois qu’il ne faut point que les docteurs signent, et que je penche aussi à croire qu’il ne faut pas non plus que les filles le fassent, estant instruites comme elles le sont. Enfin j’avoue que je suis très changée sur tout cela. »

Mme de Sablé, qui avait attiré Mme de Longueville au jansénisme, n’y avait point marché du même pas : elle avait encore confiance dans la bonne conduite, dans d’habiles ménagemens; elle n’était pas éloignée d’entrer en accommodement avec Chamillard, et elle attendait beaucoup d’un nouveau mandement que préparait l’archevêque de Paris. Mme de Longueville, malgré sa déférence et sa tendresse pour Mme de Sablé, est tentée de l’accuser de faiblesse; elle conseille ouvertement la résistance, et elle se joint de toute son âme à Pavillon, évêque d’Alet, qui venait d’écrire au roi, le 25 août 1664, contre la signature du formulaire, une lettre si forte qu’elle avait été déférée au parlement. Cette déclaration de l’intrépide évêque est à ses yeux le signe de la volonté même de Dieu, et en écrivant à Mme de Sablé avec sa simplicité et sa négligence accoutumées, elle monte sans nul effort au ton de l’enthousiasme, et trouve des accens nobles et fiers qui rappellent ceux de Jacqueline Pascal dans la même circonstance[1].


« 16 septembre 1664.

« La nouvelle de la lettre de M. d’Alet me donne toute la joie imaginable, car enfin c’est le plus achevé saint de nostre siècle, et voilà les vraies

  1. On nous a grondé, et dans cette Revue même (article de M. Planche, du 15 novembre 1853), de notre admiration pour Jacqueline Pascal. Pour toute réponse, nous prions notre consciencieux et bienveillant critique, et les amateurs de la littérature sérieuse, de vouloir bien lire, dans le tome II de la quatrième série de nos ouvrages, pages 327-330, la lettre que Jacqueline Pascal adressa à la sœur Angélique de Saint-Jean sur la signature du formulaire. Ou nous nous abusons fort, ou quiconque a le sentiment de la grandeur simple et de l’énergie du style exempte de toute rhétorique reconnaîtra dans cet écrit de la sœur de Pascal un écho des Provinciales.