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théologienne. Nous ne voulons pas traîner les lecteurs du XIXe siècle dans les détours et les aridités d’une controverse qui passionna le XVIIe et à laquelle prirent part tous les plus grands esprits du temps, les femmes aussi bien que les hommes, Mme de Sévigné et Mme de Grignan comme Mme de Sablé et Mme de Longueville. De la longue correspondance qui est sous nos yeux, nous détachons seulement quelques lettres où paraît le zèle toujours croissant de la noble néophyte.

On avait ôté de Port-Royal l’abbé Singlin, et on avait mis à sa place M. Bail[1], curé de Montmartre, sous-pénitencier du diocèse de Paris, qui s’était empressé de composer un catéchisme à l’usage des religieuses. Mme de Longueville se moque fort dédaigneusement de l’ouvrage et de l’auteur : « Après avoir lu le catéchisme de M. Bail, je n’ai pas compris pourquoi vous me l’avez envoyé, si ce n’est pour me donner une idée générale de cet homme, et me faire déplorer le malheur qu’ont ces pauvres filles d’avoir cela au lieu de M. Singlin. »

Lorsque Chamillard, docteur et professeur de Sorbonne, publia contre Port-Royal un écrit qui fit alors assez de bruit, Mme de Sablé se hâta de l’adresser à Mme de Longueville. Celle-ci, du haut de sa théologie de fraîche date, n’épargne pas la raillerie au docteur : « J’ai lu l’escrit de M. Chamillard, mais je ne vous le renvoie pas encore, car Mlle de Vertus ne l’a pas lu; mais vraiment je ne puis retarder plus longtemps à vous dire que, s’il veut faire un livre comme celui-là tous les ans, il faut que nos amis se cotisent pour lui donner pension. Comment, voilà donc tout ce qu’il sait dire, et ce bon homme croit avoir répondu, quoiqu’il n’ait pas dit un mot de la question! Il semble à l’ouïr qu’il a esté reclus avec celui du Mont-Valérien depuis que cette affaire a esté embarquée. Il n’en sait pas un mot. On peut dire qu’il y a dix ans quelque partie de son livre eût esté assez propre à frapper l’esprit; mais on a tant répondu par avance à tous les lieux communs dont il se sert, que je ne sçais pas si on en prendra encore la peine. Aussi il est reçu dans le monde comme il mérite, car il est trouvé pitoyable, et si nos amis n’ont point d’autre adversaire, ils demeureront sans peine et sans gloire maîtres du champ de bataille. « 

Le 7 juin 1664 parut le mandement d’Hardouin de Péréfixe, archevêque de Paris, que deux ans auparavant Mme de Longueville aurait trouvé sans doute conciliant et modéré; mais elle avait fait bien du chemin, et elle traite ce mandement de galimatias. En même temps, son expérience des affaires humaines ne l’abandonne point; elle voit parfaitement que tout tient aux jésuites, qu’ils sont les

  1. Sur M. Bail, voyez Racine, Histoire de Port-Royal, p. 228 et 252.