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voyois depuis un an qui s’avançoit de jour en jour. Je ne doute pas que vous ne fassiez tous vos efforts pour faire parvenir cette nouvelle jusqu’à la mère Agnès et jusqu’à ma sœur Angélique (la mère Angélique de Saint-Jean). C’est, à mon sens, la plus solide consolation qu’on leur puisse offrir en l’estat où elles sont, car rien ne montre tant le parti de Dieu que de voir les saints d’un costé et le monde de l’autre. Pour moi, cela me convaincroit, si je ne l’estois pas il y a longtemps. »

Mais Mme de Longueville n’était pas femme à se contenter d’écrire des lettres et de gémir en secret sur le sort de ses amis persécutés. Elle se déclara hautement pour eux, et comme on les cherchait pour les mettre en prison, elle recueillit dans son hôtel les plus menacés. On sait qu’Arnauld et Nicole y demeurèrent cinq ans. Nos manuscrits nous apprennent que l’abbé de Lalanne, autre ardent janséniste et grand ami de Mme de Sablé, y trouva aussi un refuge. Quelle que fût l’audace des ennemis de Port-Royal, elle n’allait pas jusqu’à forcer la demeure d’une princesse du sang; ils se vengeaient du moins par toutes les calomnies qu’ils répandaient sur elle. Ils rappelaient le passé et s’en servaient pour calomnier sa conduite présente et lui donner les couleurs d’une nouvelle rébellion. On l’appelait dans un certain monde le déshonneur du sang royal. « C’étoit sans doute en secret, dit Villefore[1], que l’on tenoit de pareils discours, car si ceux qui ne l’aimoient pas estoient obligés de paroître devant elle, sa présence les intimidoit. Il n’y avoit dans sa personne ni faste ni hauteur affectée, mais de l’éclat de son origine il sortoit toujours un air de fierté qui, si l’on ose s’exprimer de la sorte, transpiroit naturellement au travers de sa modestie et forçoit ses ennemis à n’oser lever les yeux devant elle. » Ayant appris que le père Annat n’avait pas craint de la dénoncer à Louis XIV, elle adressa au roi la lettre suivante, jusqu’ici entièrement ignorée, où, avec une liberté respectueuse, elle avoue ses opinions et ses amitiés. Cette lettre nous apprend aussi que Mme de Longueville, croyant tous ses devoirs humains accomplis avec l’éducation de ses enfans, avait résolu de sortir du monde et choisi le Val-de-Grâce pour le lieu de sa retraite.


«AU ROY, MON SOUVERAIN SEIGNEUR.

« Sire,

« J’ai su par Mgr l’archevesque de Paris la bonté qu’a eue vostre majesté de lui parler, comme je l’en avois très humblement suppliée, du dessein que j’ai d’entrer au Val-de-Grâce quand mes affaires me le permettront, et j’ai tant de sujet d’être contente de la manière obligeante dont Mgr de Paris en a usé vers moi en cette occasion, que, ne pouvant attribuer son changement à mon égard qu’à la bonté que vostre majesté lui a fait paroistre pour moi. Je me sens obligée de lui en témoigner ma reconnoissance.

  1. Vie de madame de Longueville, IIe partie, p. 165.