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après une nouvelle phase de déchiremens et de calamités pour l’Arménie. Un chef des Turkomans du mouton blanc, Ouzoun-Hassan, qui s’était assis sur le trône de Perse, ayant violé le territoire ottoman, fournit à Mahomet II, le conquérant de Constantinople, un prétexte pour pénétrer dans la partie occidentale de l’Arménie et s’y rendre maître de plusieurs villes. Ces guerres se perpétuèrent entre les sultans de Constantinople et les successeurs d’Ouzoun-Hassan, et ensuite les monarques de la dynastie des Sofis, divisés à la fois par des intérêts politiques et par des dissidences religieuses. Par une conséquence fatale de sa position géographique, l’Arménie était le théâtre et la victime de ces conflits, qui rappelaient pour elle ceux des empereurs de Byzance et des Sassanides. Suivant que la fortune favorisait les armes de l’une ou de l’autre des deux puissances rivales, elle passait sous la domination turke ou persane, changeant de maître sans cesser jamais d’être dévastée et opprimée. Les insurrections des beys, qui dans leurs fiefs bravèrent plus d’une fois l’autorité des sultans leurs suzerains, aggravaient encore singulièrement cette situation; mais de toutes les guerres des Ottomans contre les Persans, aucune ne fut plus préjudiciable à l’Arménie que celle qui éclata, dans les premières années du XVIIe siècle, entre Schah-Abbas Ier et le sultan Ahmed Ier, et que provoqua la question des frontières arméniennes, éternel sujet de discorde entre les deux états. Schah-Abbas, pour arrêter la marche de l’ennemi par une mesure énergique, résolut de tout détruire en Arménie et de transformer ce pays en un vaste désert. Des agens escortés de troupes furent envoyés dans chaque province avec la mission d’en emmener de force les habitans et d’incendier les villes et les villages. L’intention du schah était à la fois d’empêcher toute communication des Arméniens avec les Turks et de transplanter dans son royaume appauvri des populations actives et industrieuses. Ces ordres furent exécutés avec une barbarie inouïe : plus de vingt-quatre mille familles, arrachées de leurs foyers, furent entraînées à marches forcées, hommes, femmes, vieillards et enfans, dans la Perse. Une partie périt en route de fatigue ou sous le bâton et le sabre des ravisseurs; un grand nombre furent engloutis dans les flots impétueux de l’Araxe.

Au milieu de ces dévastations, prolongées pendant plusieurs siècles consécutifs, le sein de la terre, privée de culture, s’épuisa et tarit tout à fait. De fréquentes famines vinrent achever de détruire tout ce qui avait échappé à l’extermination et à l’esclavage. Aussi, dès le milieu du XIe siècle, à l’époque de l’invasion des Turks seljoukides, les Arméniens commencèrent à abandonner en masse leur pays désolé, et à aller chercher sur la terre étrangère l’hospitalité et une nouvelle patrie. La Pologne, la Crimée, les provinces au nord de la mer