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catholiques ou dissidens ont adopté les usages des pays où ils sont venus demander l’hospitalité.

Le culte des vertus domestiques est en honneur parmi les Arméniens; ils sont attachés à leurs foyers, et la famille a chez eux un caractère tout patriarcal. Byron, qui, dans ses pérégrinations en Orient, les avait fréquentés et avait commencé à étudier leur littérature, affirme qu’il serait difficile peut-être de trouver un peuple dont les annales soient moins souillées de crimes, que leurs vertus ont été celles de la paix, leurs vices ceux de la violence qu’ils ont subie[1]. Au jugement de M. Lorenz Rigler, ils sont de toutes les nations orientales la plus laborieuse, celle qui a le plus d’intelligence et d’instruction. Leur vocation spéciale pour le commerce et la banque, leur aptitude aux affaires sont connues de tous[2]. S’ils se montrent âpres au gain, on ne saurait leur refuser d’avoir généralement de la probité; c’est cette qualité, appréciée en eux par le gouvernement ottoman, qui leur vaut d’être employés comme ses agens ou ses intermédiaires dans la perception de tous les revenus publics. Ménagers à l’excès de leurs deniers, dans les circonstances ordinaires de la vie et vis-à-vis des étrangers, ils les prodiguent sans hésitation pour doter leurs établissemens religieux, pour créer ou soutenir une

  1. « It would be difficult perhaps to find the annals of a nation less stained with crimes than those of the Armenians, whose virtues have been those of peace, their vices those of compulsion. » Correspondance de lord Byron, lettre 258, Venise, 2 janvier 1817.
  2. La réputation de capacité commerciale attribuée généralement aux Arméniens doit être entendue dans un sens beaucoup plus restreint que par le passé. L’un d’eux. M, Hissarian, a montré, dans un de ses articles du Panassêr (cahier de novembre 1851), que ses compatriotes sont restés sous ce rapport bien en arrière des Grecs, qui se sont emparés de tout le commerce de la Turquie, et qui ont fondé des maisons de banque dans les principales villes de l’Europe. La même observation avait été faite auparavant par le rédacteur de l’un des journaux arméniens de Smyrne, l’Araradian Arschalouïs (l’Aurore de l’Ararad), M. Luc Balthasar, qui déplorait amèrement la décadence commerciale de sa nation. Il est vrai que dans l’intérieur de l’empire ottoman les Arméniens ont conservé le monopole des opérations de banque, et que, pour cette branche d’industrie, ils sont sans rivaux; mais il ne faudrait pas conclure de là que leurs richesses sont aussi considérables qu’on se plait à le supposer. Il serait difficile de citer à Constantinople plus de dix ou douze grandes maisons de banque arméniennes. J’ajouterai que, se trouvant souvent à découvert pour les avances qu’elles font aux pachas, elles dépendent de la position essentiellement instable de ces fonctionnaires, et croulent quand ils sont disgraciés. Une autre cause de ruine pour les sarrafs provient des abus de l’administration à laquelle ils ont été livrés jusqu’à présent, abus que le sultan Abdul-Medjid, qui, par ses qualités personnelles, s’est acquis le dévouement et l’affection de tous ses sujets, musulmans ou chrétiens, travaille chaque jour, par les plus généreux efforts, à faire disparaître, il me suffira de dire qu’il était rare autrefois que la richesse une fois acquise se perpétuât dans une famille d’une génération à l’autre. Toutes les grandes fortunes patrimoniales des Arméniens se rencontrent principalement chez ceux de Russie, de l’Autriche ou de l’Inde britannique, là seulement où la possession du fruit de leur activité et de leur industrie leur est garantie par la loi.