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institution d’utilité nationale. Un certain nombre d’associations de ce genre, hôpitaux, écoles, collèges, associations patriotiques, ont été fondées depuis quelques années et sont alimentées par des contributions volontaires. On a dit que les Arméniens étaient les Suisses de l’Orient; il serait plus exact de les comparer aux Hollandais : c’est la même ardeur soutenue, mais calme, dans le travail, la même persistance opiniâtre à poursuivre un gain, quelque minime qu’il soit, le même soin à éviter le bruit et l’éclat extérieurs. Tous leurs progrès, accomplis dans l’ombre et le silence, sont ignorés en Europe, où ils ne cherchent pas à les faire connaître, et où leurs livres et leurs journaux n’ont pas accès. Fiers et arrogans envers leurs subordonnés dans la prospérité, ils subissent la mauvaise fortune avec un esprit d’humilité et de résignation qui a peut-être sa source dans le sentiment chrétien, peut-être aussi dans quelque réminiscence involontaire du fatalisme musulman, dont le spectacle est depuis si longtemps sous leurs yeux.

Parmi les plus fausses notions qui ont cours sur le compte de la nation arménienne est celle qui nous la représente comme absorbée par le soin des intérêts matériels et comme ne connaissant d’autre patrie que les pays où elle trouve des métaux précieux à accaparer et un élément à son industrie ou à son avidité pour le gain[1]. C’est là encore une de ces impressions puisées dans la contemplation superficielle de la société bâtarde du quartier de Constantinople fréquenté par les Franks. Au contraire, il n’est pas de sentiment qui fasse vibrer plus profondément le cœur des Arméniens que le souvenir de la patrie qu’ils ont perdue; il éclate à chaque ligne de leurs poésies modernes. L’Israélite exilé qui suspendait la harpe de Sion aux saules de l’Euphrate n’a pas de regrets plus profonds et d’accens plus touchaus pour les exprimer :

O douce Arménie !
O terre de nos ancêtres trop longtemps oubliée !
Patrie dont le souvenir est impérissable dans mon cœur[2] !


s’écrie un poète interprète de la conscience et écho du cri de la nation.

Ce n’est pas l’oubli, mais plutôt l’exagération de ce sentiment que l’on pourrait reprocher aux Arméniens, et qui entretient dans le cœur d’un grand nombre d’entre eux, comme une consolation à leurs

  1. Cette assertion se trouve consignée dans un livre où l’Orient est envisagé plus d’une fois sous un point de vue faux ou superficiel, la Correspondance d’Orient de MM. Michaud et Poujoulat.

  2. Haiots aschkharig!.........
    Ov tou i-vaghouts mortsvadz haïrénik;
    Ov tou im serdis anmorats déghik ! (NAHABED.)