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pour arracher quelques lambeaux de ce malheureux pays, la spoliation et le meurtre du dernier des Bagratides, dont ils se rendirent coupables, l’intolérance des empereurs et leurs persécutions contre les dissidens, hâtèrent et finirent par consommer la séparation des Arméniens et des Grecs. La haine politique se fortifiant de la haine religieuse, ils se vouèrent mutuellement une implacable inimitié. Les familles de l’aristocratie arménienne qui passèrent au service de Byzance purent quelquefois se rallier à la foi officielle de la cour impériale, mais la masse de la nation persista toujours dans son animosité.

Par une contradiction singulière, mais qui s’explique par la brusque séparation des Arméniens d’avec les Grecs et leur primitive adhésion à une croyance commune, ils repoussèrent le concile de Chalcédoine, sans toutefois adopter le monophysisme; il y a plus : dans toutes leurs professions de foi, l’auteur de cette hérésie. Entachés, est nommé parmi les chefs de secte qu’ils vouent à l’anathème. Il est indubitable que la doctrine de l’église arménienne, telle que nous la trouvons formulée dans les écrits des pères de cette église qui font autorité, est fondée sur la distinction des deux natures en Jésus-Christ, définie, il est vrai, dans un sens un peu différent du concile de Chalcédoine. Suivant ce concile, les deux natures restent entièrement distinctes après l’incarnation du Verbe, chacune, avec sa raison d’être et son mode d’action, ne se confondant jamais, quoique réunies dans une seule et même hypostase. Avant que les erreurs d’Eutychès eussent fait sentir la nécessité de circonscrire dans des termes d’une précision rigoureuse la définition de ce dogme, saint Cyrille avait cherché à en donner une idée par l’image de l’union de l’âme et du corps humains, idée que ce savant docteur ne considérait lui-même que comme une comparaison imparfaite. C’est sous cette image que les Arméniens cherchèrent à se représenter la coexistence des deux natures qui composent l’hypostase de l’Homme-Dieu. Tout en reconnaissant en Jésus-Christ deux natures réunies inséparablement et sans confusion en une seule personne, ils ne consentirent pas à admettre explicitement l’expression de deux natures, d’autant moins que dans leur langue le mot pnouthioun ou nature a pour première acception celle de personne. On voit par là dans quelle erreur sont tombés les Grecs et les Latins, en considérant les Arméniens comme de véritables eutychéens ou monophysites, et que le rejet du concile de Chalcédoine par ces derniers tient uniquement à une définition du dogme proclamé par ce concile, obscurcie par l’ambiguïté d’une expression de leur idiome. Aujourd’hui la doctrine enseignée dans leurs écoles théologiques, sous la sanction du catholicos, paraît conforme, au moins extérieurement, à celle de l’église latine, puisqu’elle admet en Jésus-Christ