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de réforme, les appelle sous ses drapeaux ; qu’il assure à ceux qui s’y distingueront de légitimes récompenses, une position honorable, et il retrouvera en eux ce que trouvèrent dans leurs ancêtres les empereurs de Byzance, — de braves et fidèles soldats, et peut-être aussi des hommes remarquables par leurs talens militaires. L’intervention des puissances occidentales, en rendant définitives et stables les garanties qu’ils attendent aujourd’hui, état civil, égalité parfaite devant la loi, exemption du kharadj et autres concessions[1] stipulées dans le traité qui sera sans doute publié incessamment, les fera passer de l’état de rayas avilis à celui de citoyens libres ; elle leur rendra cette dignité morale qu’ils eurent autrefois et que l’oppression leur a fait perdre. Nous avons vu leurs efforts pour opérer en eux une régénération intellectuelle. Ils se rappelleront sans doute tout ce qu’ils doivent déjà à la France : la vie de Mekhithar menacée par les haines religieuses et sauvée par notre ambassadeur, l’hospitalité et la protection accordées à ceux des disciples de ce savant et pieux docteur qui sont venus fonder à Paris l’un des plus beaux établissemens d’éducation que possède la nation arménienne, et enfin l’émancipation de leurs frères catholiques. Qu’ils continuent à s’abriter sous l’égide de cette France vers laquelle les entraînent leur goût pour sa littérature et sa civilisation, leur sympathie pour ses idées[2]. C’est d’elle que leur viendra la rédemption avec la liberté civile et religieuse, c’est par elle que ces paroles de leur apôtre saint Grégoire l’Illuminateur, « lorsque la nation des braves, la race des Franks, arrivera, la croix apparaîtra sur le sommet de la montagne, » c’est par elle que ces prophétiques paroles, répétées d’âge en âge, trouveront enfin un véritable accomplissement.


ED. DULAURIER.

  1. Voir les documens remis par le gouvernement anglais sur le bureau de la chambre des lords, et publiés par le Moniteur du dimanche, 9 avril.
  2. Un Arménien de Constantinople me faisait dernièrement une observation que je dois rapporter ici, parce qu’elle nous fait bien connaître les dispositions de ses compatriotes dans la crise actuelle, et qu’elle ne manque pas de sens : « Si l’empire turk doit finir, me disait-il, eh bien ! que les Anglais s’en emparent ; ils sont peu expansifs, il est vrai, mais solides et généreux, ce sont des pères de famille ; sinon, que ce soient les Français : oh ! ceux-là sont francs, ouverts, de bons enfans, ce sont des frères ; à défaut des uns et des autres, et faute de mieux, nous serions bien forcés d’accepter les Russes. »