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d’inflexibles nécessités économiques à se servir de celles qui sont à sa portée, elle n’a d’inspirations qu’autant qu’en permet le calcul, et le talent de l’architecte s’exalte ou se contraint au gré du sol sur lequel il s’exerce. Plongé dans la fumée des fours à briques de la Grande-Bretagne, Ictinus lui-même ne produirait peut-être rien que de prosaïque; placé en face des bancs de marbre du Pentélique, il voit la carrière du possible s’élargir devant lui; son génie prend l’essor, il conçoit le Parthénon, et donne à l’œuvre de Phidias un cadre qui lavant, s’il ne la surpasse. — Il y a loin des carrières d’Athènes à celles de Caen : il n’en est pas moins vrai que sans celles-ci la Normandie ne se serait point parée de ce nombre d’admirables monumens pour lesquels elle est sans rivales parmi nos provinces. Les églises de Saint-Pierre et de Saint-Étienne de Caen, de Saint-Ouen, de Saint-Jacques de Dieppe, cent autres disséminées dans d’obscures paroisses, les cathédrales de Rouen et de Bayeux, sont sorties du gisement calcaire de l’Orne, et si l’économie du transport par mer n’effaçait pas les effets des distances, la ligne de démarcation entre la bonne et la mauvaise architecture suivrait dans le pays la limite du gisement. Ces carrières de l’Orne ont aussi fourni les matériaux de l’église de Saint-Martin que le vainqueur d’Hastings éleva sur le champ de bataille, de Saint-Paul de Londres, des cathédrales d’York et de Westminster, et si, dans des temps reculés, elles ont alimenté de semblables expéditions, comment ne redeviendraient-elles pas une précieuse ressource pour la navigation, aujourd’hui que Paris va par les chemins de fer chercher jusque dans les Vosges les matériaux de ses monumens ?

A la fin du XVIIe siècle, Vauban signalait l’imperfection de la navigation de l’Orne. Il n’y remontait en vive eau que des bâtimens de 60 tonneaux, en morte eau que des bateaux de pêche, et il prétendait rendre, par le simple redressement du lit de la rivière en aval de Caen, la ville accessible à des navires de 200 tonneaux. Ses projets ont été exécutés de nos jours avec une ampleur qu’il aurait d’autant moins désapprouvée, que les résultats qu’il annonçait sont dépassés de beaucoup. Un chenal de 2,400 mètres de longueur, creusé entre les majestueuses allées du cours Caffarelli, remplace, aux abords de la ville, des sinuosités qui n’avaient pas moins de six kilomètres de développement, et se bifurque sous ses murs; le lit principal de la rivière, bordé de quais magnifiques, forme jusqu’au pont de Vaucelles un port d’échouage de 550 mètres de longueur. L’autre bras alimente un bassin à flot d’une égale étendue, et sera prolongé quelque jour sur le bas du lit de l’Odon, qui semble l’attendre; les navires seront alors portés, comme dans les villes de la Hollande, au cœur même de la cité. Quoique ces travaux aient déjà. fait passer au second rang des ports de commerce une place qui