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maritime auquel elle correspond est si faible, que la douane ne daigne que depuis un an entretenir un commis à l’entrée du chenal décoré du nom de port de Dive. C’est de ce havre, aujourd’hui désert, que partirent en 1066 pour l’Angleterre la flotte et l’armée de Guillaume le Conquérant, et pour qu’il les contînt, il fallait que la capacité en fût alors bien autre qu’aujourd’hui. Le bourg de Dive n’a conservé de son éclat passager qu’une des plus gracieuses églises gothiques de la Normandie, et s’il doit se relever, il n’est pas probable que ce soit par la navigation : les causes physiques sous l’influence desquelles s’est comblé l’ancien golfe de la Dive ne permettent d’améliorer ici que l’agriculture. Cela ne veut pas dire que la navigation n’ait plus à tirer aucun parti du cours de cette rivière; seulement la place où elle est irrévocablement vaincue n’est pas celle où elle doit chercher un triomphe.

De l’embouchure de la Dive à celle de l’Orne, la verdure de la vallée est masquée par un bourrelet de dunes blanchâtres, et un peu plus loin git, vis-à-vis le village de Colleville, la rade de Caen. C’est un mouillage très sûr par les vents de l’ouest au sud-est passant par le sud, mais battu en plein par ceux du nord : la Manche n’a pas de meilleur ancrage, et c’est sans doute cette qualité du fond qui suggéra à Colbert le projet d’y former un grand abri[1]. Ce mouillage passe pour occuper l’emplacement d’une ancienne fosse de Colleville dont ce lieu ne présente aucune trace. Les commissaires du cardinal de Richelieu, qui visitèrent la côte en 1640, citent la fosse comme un marais situé entre Colleville et les dunes, et dont le fond conservait six pieds d’eau à mer basse; peut-être y flottait-il des navires dans les siècles précédens, mais il est depuis longtemps comblé par les atterrisse mens.

L’Orne descend d’Harcourt à la mer au travers d’une formation calcaire qui s’enfonce au sud-est dans l’intérieur des terres, s’étend le long de la côte jusqu’aux Vays, et occupe une surface de 200,000 hectares. Les immenses bancs de pierre franche que comprend cette formation se présentent par assises horizontales dans les flancs des coteaux qui bordent l’Orne maritime; la régularité de la stratification offre autant de facilités à l’extraction que la proximité de la mer au transport des produits de ces bancs; aussi l’exploitation en a-t-elle été pratiquée de temps immémorial.

Ce serait une étude pleine d’intérêt que celle de l’influence qu’ont exercée sur l’art des constructions en France et en Angleterre l’abondance et la beauté des matériaux fournis par ce gisement. L’architecture n’emprunte pas, comme la peinture et la sculpture, les matières qu’elle emploie à des contrées lointaines : condamnée par

  1. Bibliothèque du Louvre. Manuscrits.