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contribution de ceux-ci devait, et c’était justice, s’accroître avec les moyens de la payer, qu’assurait le dessèchement opéré à leur profit.

Lorsque la presqu’île du Cotentin était la tête de pont de la domination anglaise en France et que les marais de la Douve formaient entre elle et le cœur de la Normandie une barrière infranchissable, une place assise sur le passage obligé de l’un à l’autre pays était pour tous les deux la clé de l’attaque et celle de la défense. C’est de là que sont jadis venus l’importance et les malheurs de la petite ville de Carentan : Henri Ier, fils du Conquérant, en déporta tous les habitans valides en Angleterre, et de son règne à celui de Charles VII, elle a été douze fois prise et reprise par les Anglais ou par nous. Après l’expulsion des Anglais, les protestans la convoitèrent : ils la saccagèrent en 1562 avec une cruauté digne du baron des Adrets ; Montgoméry et Colombières, leurs chefs, s’en emparèrent en 1566, et la firent fortifier par des corvées de paysans réunies et contraintes par le bâton. D’après des manuscrits conservés à la bibliothèque de Saint-Lô, ce serait sur la découverte d’une conspiration qui devait éclater par la remise de Carentan aux Anglais que Charles IX poussé à bout et désespérant de conjurer autrement le retour des calamités sous lesquelles la France avait failli succomber de 1417 à 1450, aurait fini par céder aux conseils des Guises et par accepter la Saint-Barthélémy. Ces manuscrits ne sont que des copies, et j’ignore la source de l’indication qu’ils contiennent ; mais, à considérer avec impartialité les faits qui précédèrent et suivirent cette catastrophe, l’alliance des protestans de cette époque avec les Anglais n’est pas douteuse. Que la politique ait été l’instigatrice et la religion le prétexte de la Saint-Barthélémy, personne n’en disconvient ; mais fut-ce la haine de la domination étrangère qui jeta nos pères dans cette sanglante déviation du caractère national ? On voudrait le croire pour n’avoir à leur reprocher que le délire d’une passion que les âmes viles sont seules à ne pas ressentir. La connivence avec l’étranger est le plus détestable des crimes, et Du Guesclin n’a pas terni sa gloire pour avoir fait mettre à mort tous les Français qu’il prit à Carentan même dans les rangs de nos ennemis[1].

L’adoption du système d’amélioration des marais de la Douve, recommandé en 1801 par le comité du génie, a fait perdre à la ville de Carentan toute sa valeur stratégique : aujourd’hui, déclassée comme place de guerre, elle a commencé la démolition de ses fortifications. La population se transportera probablement de l’enceinte humide et

  1. « Dedans le Pont-Douve (Carentan) entra messire Bertrand, qui messire Huet de Calwerley et les autres Anglois et Navarroys print à sa mercy ; mais ceux qui François estoient, qui le parti de Navarre avoient tenu, eurent briefvement les testes tranchées en la place du marchié. » (Chronique de Du Guesclin.)