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mais aurait-il été roi d’Angleterre, c’est-à-dire roi dans son parlement ? Chose étrange ! Charles Ier n’estime et n’ambitionne que la royauté absolue, la royauté sans contrôle, sans parlement; funeste passion qu’il a payée si cher ! L’ambition de Cromwell est tout autre : le pouvoir absolu, il le possède, il l’exerce, il en connaît les vices et les périls; ce n’est pas la royauté absolue qu’il lui faut, c’est la royauté limitée, celle qu’on ne se donne pas à soi-même, la royauté consentie, acceptée, cette royauté qu’il a détruite, mais sans laquelle il reconnaît que tout est instable et précaire; son merveilleux bon sens le lui a révélé. Il voit que dans ce pays tel que l’ont fait les siècles, avec les mœurs, les traditions, les croyances de la vieille Angleterre, un pouvoir sans contrôle n’est qu’un expédient, une violence, une crise nécessairement temporaire. Il sent la vanité de ce genre de puissance. Être roi comme Charles voulait l’être, ce serait un hochet pour lui. Il lui faut donc un parlement; mais où trouver un parlement avec lequel il puisse vivre ? Là commence son impuissance, et c’est cette impuissance qui devient son supplice. Il a beau sonder le terrain, ses peines sont perdues; sans cesse il y travaille, et toujours il échoue. Obtient-il quelque brillant succès, la nation lui semble-t-elle en humeur favorable, peut-il espérer d’obtenir une assemblée telle qu’il la rêve, c’est-à-dire disposée à traiter avec lui comme avec un pouvoir légitime, à ne pas contrôler la base de son gouvernement, à n’en contrôler que les actes; aussitôt il se met à l’œuvre : les électeurs sont convoqués, il les surveille, il les dirige; on peut s’en fier à lui, ses candidats sont élus. Ce qui n’empêche pas qu’une fois réunis, une fois en sa présence, ils lui échappent. Ce parlement qu’il a couvé lui-même pour son usage, à peine éclos, devient un véritable parlement, un pouvoir qui se sent légitime et qui veut exercer ses droits, un pouvoir qu’une véritable royauté laisserait vivre impunément, mais qu’un dictateur doit briser. Aussi faut-il que Cromwell s’y résigne, et le voilà réduit une fois de plus à se passer de parlement.

Ces tentatives réitérées et toujours vaines, ces assemblées successivement élues, convoquées et dissoutes, apparaissent dans le récit de M. Guizot avec une admirable clarté. C’est une des parties de son livre qu’il a mises le plus en saillie : on le comprend, car c’est là qu’est, à vrai dire, le nœud politique de son sujet. Dans ces mécomptes de Cromwell, on entrevoit l’issue de la révolution d’Angleterre. Il est bien évident que, sur un sol où les parlemens poussent ain.si d’eux-mêmes comme un produit spontané, comme une de ces plantes qu’on ne peut extirper, la dictature ne prendra pas racine. L’expérience en sera faite une fois pour toujours; on ne l’y verra plus. Ce qui manque à d’autres pays pour prétendre au même