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Le comte de Saint-Paul, jeté de bonne heure dans les voies de cette galanterie vulgaire, fit bien des fautes qui désolèrent sa mère. Il se lia avec une personne de la cour d’une réputation au-dessous du médiocre, et il en eut un fils naturel qu’il reconnut[1] avant son départ pour sa dernière campagne, et qui prit le nom de chevalier de Longueville. Le chevalier servit honorablement et fut tué au siège de Philisbourg, en 1688.

Dès que la carrière du comte de Saint-Paul eut été assurée par le désistement volontaire de son aîné, devenu l’abbé d’Orléans, Mme de Longueville, malgré la résistance de toute sa famille, s’empressa de porter au roi la démission des bénéfices considérables qui avaient été conférés à son fils cadet, lorsque d’abord on l’avait destiné à l’église. Le roi, qui savait tout ce qu’elle avait déjà consumé en restitutions et en aumônes, la pressa de lui proposer quelqu’un pour mettre à la place de son fils. Elle s’en défendit et sacrifia ainsi sans réserve 50,000 écus de rentes, puis elle songea à marier ce fils que tant de tentations environnaient et en qui reposaient toutes les espérances de sa maison : elle jeta les yeux sur Mademoiselle. Celle-ci, occupée de sa passion secrète pour Lauzun, ferma l’oreille à cette proposition. C’est alors que Mme de Longueville s’embarqua, comme dit Mademoiselle, dans l’affaire de Pologne[2].

La gloire de Condé le désignait, en 1669, aux Polonais pour remplir et relever le trône des Jagellons, et peut-être y serait-il monté si Louis XIV, pour ménager les puissances du Nord dans ses desseins sur les Pays-Bas et la Hollande, n’eût arrêté l’affaire en disant à Condé : « Mon cousin, je vous prie de ne plus penser à la couronne

  1. Mademoiselle s’exprime ainsi à ce sujet : « M. de Longueville déclara un bâtard qu’il avoit au parlement, afin de le rendre capable de posséder les biens qu’il lui vouloit donner; on ne nomma point la mère. Comme il faut pour cela des lettres patentes du roi, elles furent accordées sans peine. La mère du chevalier de Longueville étoit une femme de qualité dont le mari étoit vivant. Il disoit à tout le monde en ce temps-là : Ne savez-vous pas qui est la mère du chevalier de Longueville ? Personne ne lui répondoit, quoique tout le monde le sût. » Nous n’avons aujourd’hui aucune raison de nous taire, comme Mademoiselle : c’était la duchesse maréchale de La Ferté, la très digne sœur de la comtesse d’Olonne. Cette manière, jusqu’alors inconnue, de reconnaître un fils sans désigner la mère fut une complaisance extraordinaire du parlement que Louis XIV autorisa, et dont il se servit plus tard pour faire légitimer aussi les enfans de Mme de Montespan.
  2. Voyez les Mémoires de Mademoiselle, t. V, p. 182, et t. VI, p. 42 et 281 : « Madame de Longueville me fit dire qu’elle me demandoit encore une fois si je voulois faire l’honneur à son fils de l’épouser, qu’il n’y avoit royaume ni sœur d’empereur à quoi elle ne me préférât, que l’affaire de M. de Lauzun n’avoit rien changé à son dessein, que l’affaire rompue, j’avois assez de raison pour faire croire que je n’y songerois plus, qu’ainsi elle souhaitoit l’affaire plus que jamais. Je lui répondis que je ne me voulois pas marier, et que cette marque d’estime qu’elle me donnoit m’étoit si sensible, que j’en étois touchée de la plus vive reconnoissance que l’on pouvoit sentir. Elle s’embarqua à l’affaire de Pologne, et un gentilhomme de Normandie, nommé Calières, qui étoit entré dans cette négociation, m’a dit depuis que l’affaire était faite quand il mourut. »