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de Pologne; il y va de l’intérêt de mon état. » Condé se soumit loyalement à cet arrêt, expiant ainsi ses fautes de la fronde, et le choix de la diète polonaise alla tomber sur le plus indigne. Ce fantôme de roi ayant bientôt disparu, les Polonais s’adressèrent de nouveau à Condé. Il leur offrit son neveu le duc de Longueville, qu’ils acceptèrent avec joie. Louis XIV consentit ou parut consentir cette fois à l’élévation des Condé. Mme de Longueville le dit de la manière la plus positive dans une lettre à Mme de Sablé : « Je suis bien aise de ne pas retarder davantage à vous apprendre que le roi m’a reçue comme je le pouvois désirer et a donné son agrément à ma proposition comme on le devoit attendre de sa justice. » On sait à quoi tous ces projets aboutirent. Le jeune duc fut tué dans la campagne de Hollande, au passage du Rhin, dans une attaque mal entendue[1], le 12 juin 1672, à peine âgé de vingt-quatre ans, sous les yeux de Condé, blessé lui-même assez grièvement. Il y eut là une des scènes les plus tragiques et les plus touchantes. Condé ne voulut pas se séparer de ce neveu qu’il aimait comme son propre fils, le duc d’Enghien, ainsi qu’un peu plus tard il aima son autre neveu, ce jeune prince de Conti, un de ses meilleurs élèves avec Luxembourg, un des premiers capitaines de la fin du XVIIe siècle, et qui lui aussi fut appelé et toucha presque au trône de Pologne. On ne trouva qu’une misérable grange sur le bord du fleuve pour y transporter Condé, souffrant cruellement de sa blessure et le cœur navré de chagrin. Il fit mettre à côté de lui le corps du jeune duc couvert d’un manteau; il n’en pouvait détacher ses regards. Il méprisait ses propres maux et ne pensait qu’à sa sœur. C’est dans cette grange, sur son lit de douleur et devant ce corps, qu’il reçut l’envoyé de la confédération polonaise, qui avait traversé l’Allemagne pour venir saluer le duc de Longueville en qualité de roi, et le conduire à Dantzig, où l’attendaient les grands de la nation. Il était venu chercher un roi, il trouva un cadavre.

La destinée du jeune Longueville excita des regrets universels. On oublia ses défauts pour ne songer qu’à ses brillantes qualités, et sa fin malheureuse couvrit les torts de sa vie. Nous ne nous arrêterons point au pompeux éloge qu’en fait Mme de Sévigné, car, ainsi que nous l’avons dit, avec la vue la plus perçante sur les plus

  1. Pellisson, Lettres historiques, t. Ier, p. 142 : « (Après le passage du fleuve) on découvrit quelques restes d’infanterie ennemie qui, n’ayant pu se retirer assez vite, s’enfermoient entre des baies et des barrières. Tous nos volontaires y courent, M. le Duc et M. de Longueville avec cette émulation qu’on sait qui étoit entre eux. M. le Prince, ne pouvant d’abord les retenir, court après pour tâcher d’en venir à bout. M. de Marsillac et quelques autres crient à ce reste d’ennemis qu’on leur feroit bon quartier. Une partie avoient déjà mis les armes bas, quand M. de Longueville et ceux qui le suivirent de plus pris, croyant avoir trouvé un chemin pour forcer la barrière, commencèrent à crier : Tue, tue, sans quartier. Ce peu d’ennemis, au désespoir, se ravisent, ils font une décharge, où M. de Longueville fut tué tout roide. On lui a trouvé cinq coups de mousquet. »