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parchemins du marquis de Prestes servissent de marchepied à son ambition. Ici se présente une objection toute naturelle. Poirier peut être vaniteux et sot, il peut se faire une idée très fausse des aptitudes particulières qu’exige la vie politique; mais il sait calculer, il est de son temps, il est pénétré de l’importance que lui donnent ses écus, des progrès de l’égalité moderne qui lui ouvre toutes les carrières et toutes les voies. Il a eu sous les yeux, pendant la phase qui vient de s’écouler, d’honorables exemples de bourgeois ou de fabricans arrivés par eux-mêmes aux plus hautes dignités de l’état. Dès lors qu’a-t-il besoin d’un gendre marquis ? et, s’il lui a plu de marier sa fille à un gentilhomme, pourquoi ne s’est-il pas mieux renseigné ? Qu’il l’ait choisi pauvre, je le comprends, c’était un moyen de le maîtriser; mais pourquoi le choisir dissipateur, paresseux, libertin, duelliste, perdu de dettes, ce qui était après tout, sous un gouvernement sage, un assez singulier moyen de recommander son beau-père ? Comment ne sait-il pas que Gaston est en outre attaché à la monarchie tombée en 1830 par ces liens d’affection et de reconnaissance presque domestique qui doivent rendre à la fois son ralliement plus difficile et son appui plus illusoire ? Fort heureusement, cette objection, si juste qu’elle nous paraisse, n’arrive qu’après coup. Le spectateur s’amuse si bien, qu’il n’a garde de réfléchir. Poirier est si plaisant dans ses rêves ambitieux, dans ses désappointemens, dans ses colères, dans les représailles qu’il exerce en congédiant le cuisinier et en réformant la maison, qu’on oublie de s’apercevoir d’une inconséquence sans laquelle il aurait un gendre peut-être plus raisonnable, mais à coup sûr moins spirituel. La scène où poirier, abusé par la gravité narquoise de Gaston, lui déroule ses plans et lui avoue un à un les dadas de sa vanité, est vraiment de la comédie. La scène où un premier conflit amène la définition de l’honneur, « cette probité du gentilhomme, » et de la probité, « cet honneur du bourgeois, » a quelque chose d’impartial et d’élevé propre à fléchir les susceptibilités les plus chatouilleuses. Enfin, lorsque poirier, rentré dans sa spécialité, parvient à solder au rabais les créanciers de M. de Prestes, que ceux-ci rentrent en scène avec des récrirai- nations insolentes et amères, et qu’Antoinette, pour sauver son mari de cette humiliation, engage sa dot et jette sa signature à la face de ces misérables, on bat des mains à la révélation de ce rôle charmant, qui ne se dément plus un moment jusqu’à la fin, qui possède la vraie noblesse, celle du cœur, et qui, admirablement joué par Mme Rose Chéri, eût suffi au succès de la pièce,

L’effet des deux derniers actes a été plus grand, bien que le comique y soit moindre ou peut-être parce qu’il y est dominé par ces élémens qui ont toujours plus de prise auprès du public : le sentiment et la passion, Gaston, à demi désabusé, se prend à aimer sérieusement sa femme; mais il est engagé, nous l’avons dit, dans une intrigue avec une coquette, et, à l’instant où il se décide; à la sacrifier, arrive une lettre de cette comtesse de Mougeais. Poirier s’en empare, l’ouvre, et la lit. Nous n’aimons pas l’épisode de cette lettre; nous n’admettons pas qu’une femme habile, rompue aux liaisons galantes, unie à un vieillard soupçonneux qu’une faute prouvée trouverait inflexible, écrive ainsi sans précaution à son amant, surtout quand cet amant est marié et logé chez son beau-père. Il y a aussi une brutalité par trop bourgeoise dans l’action de ce poirier ouvrant une lettre adressée à son gendre. Un