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Compagnons de jeunesse, de prodigalités et de folies, tous deux ont dissipé leur patrimoine; mais, une fois ruinés, ils ont cherché contre les conséquences de leurs désordres un refuge différent : Hector a gaiement endossé l’uniforme de chasseur d’Afrique, et s’est retrempé, comme un vrai héros de M. de Molènes, dans les fatigues et les devoirs de la vie militaire. Moins corrigé, plus enclin à l’impénitence finale, lié de plus près à la monarchie renversée en 1830, Gaston de Prestes a épousé la fille de M. Poirier, ancien marchand de drap rue des Bourdonnais et pour le moment retiré du commerce avec quatre millions. Jusque-là Gaston n’a qu’à s’applaudir de sa mésalliance. M. Poirier est un bonhomme qui ne semble occupé qu’à faire à son gendre une oisiveté dorée, et à s’effacer le plus possible pour ne pas gêner ses relations avec ses anciens amis. Antoinette, sa fille, la nouvelle marquise de Prestes, est une jolie poupée dont l’intelligence n’a jamais dépassé l’horizon du comptoir paternel, qui a peut-être éprouvé une joie enfantine en devenant grande dame, qui peut-être a pour son mari un amour de pensionnaire, mais qui ne saurait prétendre à dominer son cœur, ni à entamer son indépendance. Gaston en profite pour continuer sa vie de garçon et renouer une liaison peu édifiante avec une femme de son monde d’autrefois; même, par suite de ce galant épisode, il doit avoir le lendemain un duel avec un rival, et il prie Hector de Montmeyran d’être à la fois son hôte et son témoin.

Poirier entre en scène avec sa fille et son vieil associé Verdelet, parrain d’Antoinette; il est à l’instant criblé d’un feu roulant d’épigrammes, dont quelques-unes sentent un peu plus l’atelier que le faubourg Saint-Germain; mais tout cela est si vif, si gai, si amusant, qu’il y aurait pruderie à trop insister sur la différence. Poirier supporte tout avec la résignation d’un stoïcien ou d’un imbécile. Verdelet, esprit plus cultivé, plus artiste, souffre de ces sarcasmes, qui le font trembler pour le repos de cet intérieur et pour le bonheur de sa chère filleule. Antoinette est au supplice. Hector de Montmeyran, plus sage que son ami, cherche à tempérer, à force de respect pour Mme de Presles, de courtoisie pour les deux vieux négocians, le mauvais effet des plaisanteries de Gaston. Toute cette fin du premier acte est bien posée, et a l’avantage de rassurer d’avance ceux que le sujet tiendrait trop en éveil. Notons en passant, comme preuve de tact, l’intervention de ces deux personnages épisodiques. Verdelet et Montmeyran, spirituels, aimables, modérés, représentant les beaux côtés de la bourgeoisie et de la noblesse, et placés là comme deux correctifs, nous dirions presque deux paratonnerres destinés à conjurer l’orage que pourraient soulever tour à tour, auprès des spectateurs intéressés dans la question, les fautes de Gaston ou les ridicules de poirier.

Au second acte, le vrai caractère de poirier commence à se dessiner. Le bonhomme, le niais qui payait les dettes de son gendre, qui le logeait dans le plus bel appartement de son hôtel, qui se chargeait des dépenses de l’office et de l’écurie, et qui avait même la complaisance de disparaître les jours où Gaston traitait ses amis, est tout simplement un ambitieux qui aspire au titre de baron et à la dignité de pair de France comme couronnement de sa laborieuse fortune. S’il a choisi un gendre ruiné, s’il a voulu le recevoir chez lui et subvenir à son luxe, s’il a donné rendez-vous à ses créanciers, c’est pour que Gaston fût complètement sous sa dépendance et pour que les