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attendris au seul mot de pardon. On verra ce qu’il fallut de génie aux chefs de la révolution pour prémunir contre cet appât le cœur de la foule. Les horreurs du duc d’Albe firent la moitié des séductions de don Juan et du duc de Parme. Quand ceux-ci arrivèrent, les villes étaient dépeuplées, les campagnes ravagées. On ne labourait plus, on ne semait plus la terre. Les loups habitaient dans les faubourgs de Gand. Il devint assurément plus facile de régner sur ces déserts. Les successeurs d’Albe, voyant les choses s’apaiser autour d’eux et le silence se répandre dans les provinces du midi, s’en attribuèrent aveuglément le mérite; mais ce désert, qui l’avait fait ?


IV.

Pendant que le duc d’Albe élevait librement ses bûchers dans les Pays-Bas, Marnix cherchait un abri à Heidelberg, auprès de l’électeur palatin. Cette petite cour, au milieu d’un peuple de savans, ce château aujourd’hui en ruines, alors dans sa splendeur, offraient un asile à ceux qui voulaient respirer au milieu du grand combat du siècle; on y trouvait à la fois l’élégance chevaleresque d’un manoir du moyen âge, la vie sérieuse d’une université retentissante de tous les bruits de la renaissance, la solitude d’une Thébaïde, et par-dessus tout cela, une sorte de forteresse du calvinisme. Les croyans échappés aux bûchers d’Italie, de France, d’Allemagne, venaient, sous la protection du château des électeurs, montrer leurs plaies à l’Europe religieuse et se préparer à de nouvelles luttes.

Conseiller du prince palatin, assesseur de l’église réformée, Marnix reparait souvent au milieu de cette retraite de Heidelberg. Il y retrouve les traces encore vivantes d’Olympia Morata, et il célèbre ce souvenir par quelques vers latins sur la Sapho de la réforme. C’est dans un de ces intervalles de paix qu’il écrit sa Lettre de consolation aux frères exilés du Brabant, des Flandres, du Hainaut, de l’Artois, dispersés çà et là dans les pays étrangers à cause de la pure doctrine de l’Evangile. Il visite les églises naissantes des bords du Rhin, il préside des synodes clandestins; ses lettres forment le lien de ces différentes églises, réduites à une conspiration évangélique. Dans ces manifestes de l’exil, on sent la reconnaissance du réfugié qui alors trouvait partout un seuil ouvert, Emden, Wesel, Heidelberg, sont pour lui les villes de refuge, les lumières du monde. la Sion et la Jérusalem. En même temps qu’il ranime les cœurs, il n’oublie pas son titre de questeur des gueux. Assisté d’un prédicateur, il va de lieux en lieux, solliciter les tributs de son parti, et