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bientôt il refait ainsi un trésor pour la révolte; il y a en ce moment en lui un apôtre et un frère quêteur. « Après tant d’épreuves, écrit-il, nous finirons par revoir la patrie; nous ne les trouverons pas tous vivans, mais bien ceux-là qui sont marqués du signe de Thau. »

Dans cette voie, Marnix ne pouvait manquer de rencontrer Guillaume d’Orange. Tous deux, aigris par leur défaite commune, devaient, ce semble, nourrir de vifs ressentimens l’un contre l’autre; Guillaume pouvait reprocher à Marnix sa précipitation, son impatience, qui avait tout compromis; Marnix à Guillaume, son hésitation, ses lenteurs, qui avaient perdu la cause. Aldegonde pouvait rappeler un malheur plus personnel, la mort de son frère, la ruine de l’entreprise commencée et perdue sous Anvers. Des exilés vulgaires n’eussent pas manqué de rafraîchir ainsi leurs plaies. Pour des hommes du caractère du Taciturne et d’Aldegonde, l’exil est au contraire la meilleure et la plus salutaire des écoles; sorte de méditation dans la mort, on y voit son époque du fond de la postérité. Eclairés par cette leçon suprême, dès que ces deux hommes se furent rencontrés, ils comprirent qu’ils ne devaient plus se quitter; au lieu de se reprocher leur passé, ils s’empruntèrent leurs qualités distinctes et se complétèrent l’un par l’autre : Marnix communiquait à Guillaume quelque chose de son élan et de son impétuosité, Guillaume tempéra la fougue de Marnix par la sagesse de l’homme d’état.

Aldegonde avait jugé que dans la ruine de son parti, il fallait un homme pour le relever, et que Guillaume était cet homme. Dès ce moment, tous les ressentimens s’effacent, il s’attache à Orange comme au salut même. Prédicateur à la cour, conseiller dans le cabinet, aide de camp dans le combat, négociateur auprès des rois, orateur dans les états, il ne quitte plus son héros, qu’il commence par convertir. Son œuvre principale en ce moment fut en effet de conquérir Guillaume à la révolution religieuse[1]. Jusque-là, le Taciturne avait séparé ces deux choses : liberté politique, liberté de l’esprit; indifférent aux opinions, c’est dans son indifférence qu’il avait puisé son inertie. Hostile au calvinisme, il l’avait été, à son insu, à la révolution nouvelle. Marnix avait dans ces questions l’avantage de ne s’en être jamais distrait. Un point arrêta longtemps le prince d’Orange, la réputation morose du calvinisme; il craignait l’esprit puritain de l’église de Genève. Marnix lui montra un christianisme aimable, indulgent, celui d’un philosophe plus que d’un théologien; il portait une sorte de netteté mathématique jusque dans les mystères. L’âme froide, enveloppée de Guillaume, ne put tenir contre ces assauts répétés; il renonça à ses préjugés catholiques et luthériens; il n’avait pas vu le lien indissoluble de la servitude

  1. Groën van Prinsterer, Archives, t. III, p. 54.