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Metternich aurait certainement sur l’Allemagne du XIXe siècle des explications qui ne se trouvent pas ailleurs. C’est aux diplomates du XVIe et du XVIIe siècle, particulièrement aux diplomates italiens, si intelligens et si fins, que M. Ranke est allé demander les documens de ses travaux historiques. Il avait déjà lu à Berlin, en 1826, quelques-unes des relations des ambassadeurs de Venise au XVIe siècle, et il en avait merveilleusement tiré parti dans le premier volume de son ouvrage sur les princes et les peuples du midi de l’Europe (1827). Ce premier volume publié, il partit pour l’Autriche, et l’Italie. Il visita Vienne, Venise, Florence, Rome, Naples, cherchant partout dans les bibliothèques et dans les archives d’état les dépêches des ministres, les rapports des ambassadeurs, tous les secrets et toutes les combinaisons de la politique.

La biographie d’un homme tel que M. Ranke est tout entière dans ses écrits. Le voilà professeur à l’université de Berlin ; il mène de front l’enseignement et les excursions scientifiques. Nous n’avons plus maintenant qu’à juger ses ouvrages. Chaque livre nouveau signé de son nom nous révélera le zèle infatigable du chercheur, et dessinera d’un trait lumineux la physionomie de son talent. Nous le suivrons de Berlin à Londres, de Londres à Paris, et nous le verrons, fouillant toutes les archives diplomatiques de l’Europe, puiser dans ce commerce assidu avec les hommes d’état la sûreté de coup d’œil dont profitera l’artiste.

Ce qui frappe tout d’abord chez M. Ranke, c’est la parfaite unité de ses travaux. M. Ranke a publié six compositions importantes, et à côté de cela, quatre écrits de moins longue haleine, commentaires précieux ou dramatiques épisodes de son œuvre. Or tous ces tableaux si variés ne forment qu’un seul sujet, — l’histoire du monde moderne et de ses révolutions. Que l’auteur nous conduise à l’Escurial ou dans les conseils secrets des sultans, qu’il étudie le rôle d’Ignace de Loyola ou l’état de l’empire d’Allemagne à l’époque de Luther, qu’il raconte l’histoire de Prusse ou résume à grands traits la formation de la monarchie absolue dans la France du XVIIe siècle, son héros, c’est toujours le moderne esprit de l’Europe, surtout de cette Europe à la fois germanique et romane dont nul n’a mieux compris la souveraine unité.

Voyez le livre par lequel il débute, l’Histoire des Nations germaniques et des Nations romanes de 1494 à 1535 ; c’est le brillant et vigoureux programme des travaux de toute sa vie. D’autres historiens se complaisent à mettre en relief la sourde hostilité des races et les luttes éclatantes des religions ennemies. Opposer les peuples germaniques aux peuples néo-latins, quel lieu commun exploité mille fois ! M. Ranke est plus profond ; il a été frappé de l’action