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l’université de Berlin, le jeune professeur de Francfort-sur-l’Oder fut appelé dans cette illustre école, à côté des Savigny et des Ritter.

On vit alors M. Ranke redoubler d’ardeur, et tenir d’année en année toutes les promesses de son début. Ce fut d’abord un enseignement plein de solidité, qui, sans aucune prétention hautaine, avait toute la valeur d’une réforme. M. Ranke n’est pas orateur, et l’on regrette de ne pouvoir admirer dans sa parole la netteté qui recommande ses écrits ; mais l’importance des recherches, la précision des vues, l’habile ordonnance des faits et des idées, attiraient déjà vers lui bien des auditeurs que repoussent trop souvent une érudition indigeste et une philosophie abstruse. Ce n’était point assez d’ailleurs pour M. Ranke d’instruire ceux qui l’écoutaient ; il s’est empressé de mettre à profit ces bonnes dispositions du public : il a fondé ce que nos voisins appellent un séminaire historique, espèce d’école pratique où de jeunes talens, sous la direction de ce guide ingénieux et sévère, se sont habitués à chercher, et surtout, ce qui est si rare chez les érudits de toutes les nations, à choisir les sources de l’histoire. Ce séminaire a porté des fruits heureux, l’Allemagne en a vu sortir des hommes et des ouvrages qui tiennent un rang honorable dans littérature historique du XIXe siècle. M. Ranke ne me démentira pas, si je dis que le mérite sérieux des disciples fait partie de la renommée du maître.

C’était surtout le monde moderne qui occupait M. Ranke. On sait combien les moindres événemens ont inspiré de commentaires aux écrivains de l’Allemagne. Il y a des bibliothèques pour chaque année de l’histoire, et que de fois la plus grande ambition d’un historien est de prouver qu’il a tout lu ! Décidé à choisir et non à accumuler ses lectures, avide de retrouver la véritable histoire au milieu d’une masse de documens insipides, M. Ranke comprit avec une rare sagacité qu’il devait s’adresser d’abord aux hommes qui ont gouverné leurs semblables et dirigé les événemens. Dans les sociétés anciennes, les historiens étaient des hommes d’état ; rompus à la pratique des affaires, les historiens anglais, et ceux qu’a produits en France le mouvement libéral de la restauration, ont trouvé dans ces épreuves les ressources les plus précieuses. M. Ranke voulut se donner le même avantage, et pour avoir une vive et complète intelligence du passé, il se plaça résolument dans le milieu de la politique active. On a dit que M. Ranke avait été honoré de la correspondance de M. de Metternich. Je ne sais si la spirituelle finesse du célèbre diplomate autrichien a été utile à l’historien des papes, mais l’exemple seul de l’histoire contemporaine a dû lui apprendre tout ce qu’un document diplomatique peut contenir d’indications fécondes. Celui qui posséderait toute la correspondance de M. de