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sous les ruines de l’empire. La Marseillaise seule a exercé sur des masses d’hommes une puissance pareille[1].

Qu’est-ce donc que le Wilhelmus-Lied ? Chant du banni, du pôvre gueux, résignation à la défaite passée, encouragement à la victoire future, consolation dans la ruine, prière du soldat, du matelot, confiance dans un héros, surtout espoir en Dieu, ce chant explique mieux que tous les raisonnemens pourquoi ces hommes ont fini par vaincre. Comment auraient-ils été détruits, ceux qui, le soir de la défaite, se ralliaient ainsi dans le Dieu des Machabées ? Plus l’art est étranger à cet hymne, mieux il s’insinuait partout. Le peuple ne s’approprie que ces monumens humbles comme lui dans la forme, profonds comme lui par le sentiment : un psaume rustique, un cantique de Déborah dans la Mer du Nord. C’est le prince d’Orange lui- même qui parle, car seul il est encore debout au milieu de la ruine de tous. On voit un grand homme qui soutient tout un peuple de sa force morale et le nourrit de la moelle de ses os. En même temps que Marnix relève le cœur des masses au niveau du héros, il fait de Guillaume un tel idéal de désintéressement, d’abnégation chrétienne, qu’il l’enchaîne à la justice par sa louange même; il ne permet à son prince que la conquête du royaume éternel de la justice. Au récit de Guillaume, les gueux des bois, les gueux de mer, sortent de leurs retraites et répètent avec lui le chant du réfugié. De pareils poèmes sont absolument intraduisibles; à peine si l’on peut reproduire quelques accens, qui, privés du rhythme populaire, restent décolorés.


« Moi, Guillaume de Nassau, né de sang allemand, je suis resté fidèle à la patrie jusqu’à la mort. J’ai résolu de vivre dans la loi de Dieu, et pour cela je suis banni loin de mon pays et des miens; mais Dieu me conduira comme un bon instrument : il me ramènera au gouvernail.

« Vous, hommes au cœur loyal, tout accablés que vous êtes, Dieu ne vous abandonnera pas; vous qui voulez vivre dans la justice, priez-le jour et nuit qu’il me donne la force de vous sauver.

« Je ne vous ai épargné ni ma vie, ni mes biens, et mes frères aussi, grands par le nom, ont fait, comme moi. Le comte Adolphe est resté en Frise dans le combat; il attend dans la vie éternelle le jugement dernier.

« Soyez mon bouclier et ma force, ô Dieu, ô mon Seigneur ! en vous je me repose; ne me délaissez jamais. Conduisez votre serviteur fidèle; faites que je brise la tyrannie qui m’ensanglante le cœur.

« Comme David dut se cacher devant Saül le tyran, ainsi j’ai dû m’enfuir avec mes nobles hommes; mais Dieu a relevé David du milieu de l’abime : dans Israël il lui a donné un grand royaume.

« Si mon Seigneur le veut, tout mon désir royal est de mourir avec honneur sur le champ de bataille et de conquérir un royaume éternel, comme un héros loyal.

  1. Broes, Van Marnix, t. III, p. 181.