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opérateurs. M. le général Noizet saisit avec beaucoup de supériorité l’analogie qui se trouve ici entre la cause involontaire de la rotation des tables et le mode d’action semblable du magnétisme animal, sans que pour cela il soit nécessaire d’admettre qu’un fluide particulier émane de nos corps et vienne accidentellement animer une substance inorganique. L’auteur ajoute : « Cette explication, que je crois en tout point la véritable, si elle enlève le merveilleux des faits, ne fait pas qu’ils ne soient extrêmement remarquables. »

On a depuis longtemps remarqué qu’en considérant le magnétisme animal (dont nous n’avons pas du reste à nous occuper ici) comme un moyen de chercher dans la pensée des choses qui y étaient pour ainsi dire à son insu, on ne pouvait jamais tirer d’une faculté pensante que ce qui y avait été déposé antérieurement. De même, en admettant qu’à leur insu les expérimentateurs produisent involontairement dans les tables des mouvemens qui répondent à certaines indications, ces indications ne pourront sortir du cadre des faits et des pensées qui forment te domaine intellectuel de ces expérimentateurs. On tire de là un critérium infaillible pour juger bien des cas de charlatanisme par une réduction à l’absurde aussi commode qu’infaillible, et l’on explique en même temps pourquoi, malgré le prétendu merveilleux de ces manifestations qui nous ont mis soi-disant en rapport avec le monde des esprits, la science, même la science psychologique, a si peu bénéficié par la conquête de ces nouveaux procédés d’observation tant vantés et en réalité si stériles. Les oracles des esprits frappeurs et des tables parlantes ont appris tout ce que l’on savait dans chaque société et dans chaque nation où on les consultait, comme on devait s’y attendre d’après le grand principe qu’il n’y a point d’effet sans cause.

Je remarquerai à l’honneur de la société française que l’intérêt pécuniaire a été étranger à cette crise de crédulité publique, d’amour du merveilleux, de curiosité de l’avenir, passions qui créent à l’ordinaire une grande quantité de marchandises qui ne se pèsent point à la balance, mais qui pour cela n’en sont pas payées moins cher. Les mediums ou sujets français n’ont point eu pour but en général l’emboursement des dollars. Si la bonne foi n’a pas toujours été rigoureusement respectée, ç’a été souvent le désir d’avoir raison, plutôt que celui de tromper, qui a guidé les contrevenans. Il est bien difficile, quand on soutient passionnément une thèse contestée, de ne pas vouloir triompher à tout prix. L’entraînement de la discussion amène dans l’expérimentation, comme dans les pratiques religieuses, ce qu’on désignait autrefois sous le nom de fraudes pieuses ; mais là, comme partout, on peut poser des principes et amener les prétendans au surnaturel à répondre par oui ou non aux épreuves indiquées.

Nous avons déjà dit que pour l’imagination il n’est point de règles, point de principes, point d’impossibilité. Dans le monde fantastique de cette sœur étourdie de la calme raison, on se figure aisément îles animaux parlans, des lions ailés, des rochers suspendus dans les airs, des chênes qui rendent des oracles, enfin tout ce que la mythologie et la poésie de toutes les nations ont mis en jeu pour l’agrément de la pensée. Les légendes du moyen âge, les histoires de fées, de revenans, de magiciens, les contes des Mille et une Nuits ont bercé notre enfance, et nous ont habitués à ne pas trop nous révolter