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pesanteur est un caractère miraculeux. « Les tombeaux des saints, dit saint Hilaire, guérissent les maladies, et c’est une œuvre digne d’admiration d’y voir les corps soulevés sans corde qui les hisse. » Que les adeptes du mystère du jour (mystery of day) nous montrent le corps pesant dont parle saint Hilaire suspendu sans corde et sans mouvement, et nous reconnaîtrons tout de suite un miracle réel.


IV.

Plusieurs âmes timorées, du reste de la plus louable bonne foi et de la plus évangélique bienveillance, paraissent craindre que l’examen critique des prétendus miracles nouveaux ne conduise à attaquer ceux qu’admettent nos dogmes chrétiens ; c’est ce sentiment général qui en Amérique, où pullulent mille sectes chrétiennes, a accueilli les vieux prodiges remis à neuf. L’évêque de Saint-Louis a même lancé contre eux les foudres de l’église : c’était, comme dans l’Enéide, frapper à vide sur des fantômes.

Irruit et frustra ferro diverberat umbras.

Le clergé français a été bien plus digne et bien plus sage ; il n’en a appelé qu’à la raison, et tout le monde a applaudi.

On pense bien que cent fois on a dû me demander mon avis sur toutes ces matières. Ici comme ailleurs, je n’ai nulle envie de cacher mon opinion ; voici donc ce que je réponds. La science ne doit jamais être agressive, et la question des miracles est une question de controverse religieuse épuisée depuis longtemps, où tout a été dit pour ou contre par les coryphées de l’esprit humain. Sous ce point de vue, la science des faits, la science positive n’a rien à y voir ; mais si au moyen de prétendus miracles récens des esprits primesautiers (expression de Montaigne, qui signifie, en bon français, étourdis) viennent attaquer les principes qui ont assuré les progrès des sciences d’observation, il faut défendre énergiquement ces principes fondamentaux de la raison pratique, et montrer aux agresseurs imprudens que la hache à laquelle on veut faire couper le fer ne peut plus ensuite entamer même le bois. C’est ce que disait hardiment Kepler aux théologiens qui prenaient si légèrement l’initiative et la mission d’attaquer la doctrine physique de Copernic et de Galilée. Dans la dédicace de son ouvrage au pape, Copernic avait traité ces gens-là de parleurs à tort et à travers sur des matières qu’ils ignorent. « Les livres de science, ajoute-t-il, sont écrits pour être lus par les savans ; mathematica mathematicis scribuntur. » La science moderne, en se popularisant, suivant l’expression reçue, a ouvert la porte à bien des savans sans titre officiel ou rationnel, et c’est du côté de ceux-ci que sont passés maintenant les prétentions et le pédantisme dont les écoles et les académies avaient autrefois le privilège exclusif.

Mais, dira-t-on, ceux qui ne croient pas aux miracles reconnus par les diverses sectes chrétiennes devraient les attaquer dans l’intérêt de la vérité et de la raison, sauf à laisser aux théologiens des divers rites le droit de les défendre. — Tout cela a été fait et refait. En supposant d’ailleurs qu’il y eût à cela l’utilité qu’y semblent reconnaître les précepteurs sceptiques des