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nations, ne devraient-ils pas avoir un peu de condescendance pour la masse immense de ceux qui peuvent y croire ? Et, s’ils les regardent comme aveugles, ce serait une preuve de bon goût, je dirais presque de charité, de ne pas trop se moquer de leur infirmité, surtout en ayant si peu de chances de la guérir.

Beaucoup de théologiens sérieux et parfaitement orthodoxes ont tâché, on l’ignore peut-être, d’assigner des causes naturelles aux miracles reconnus authentiques. L’étoile même qui conduisit les rois mages au berceau du Christ au moment où commence notre ère a été identifiée tantôt avec une comète, tantôt avec une de ces étoiles temporaires qui, comme la fameuse pèlerine (peregrina) de 1572, brilla d’un éclat sans rival pendant quelques mois pour s’éteindre sur place et sans doute pour reparaître plus tard. Ces théologiens ne voient le miracle que dans la circonstance, suivant eux non fortuite, qui amène le phénomène naturel juste au moment où arrive l’événement historique qu’il est destiné à marquer du sceau du merveilleux. C’est ainsi que dans un village des environs de Poitiers, au moment d’une plantation de croix, sur la tête d’une nombreuse procession en plein air, au soleil couchant et au moment où on entonnait les chants de la consécration du pieux monument, la croix aérienne d’un bel anthélie météorologique apparut au-dessus de toutes les têtes et fut un vrai miracle pour les nombreux assistans. M. Bravais nous a donné depuis peu d’années la théorie, longtemps inutilement cherchée, de ce curieux et rare météore. On voit dans la relation du miracle de Migné, publiée par le clergé pastoral de Poitiers, l’indication expresse que le merveilleux consistait dans l’apparition du phénomène au moment précis de la consécration de la croix de mission. Je pourrais citer mille exemples semblables, mais là-dessus je n’ai rien à dire : ce n’est pas mon affaire ni celle des principes scientifiques que l’on attaque aujourd’hui.

Quant aux corps suspendus en l’air, sans cordes, sans nœuds et sans lacs qui les soutiennent (elevata sine laqueis corpora), ce seraient là les plus miraculeux de tous les miracles, puisqu’ils contrediraient la première des lois de la création. Ces miracles sont mentionnés par bien des auteurs. Saint Hilaire, saint Jérôme, saint Paulin et Sulpice Sévère les donnent comme ordinaires aux tombeaux des saints et des martyrs en général, et spécialement à ceux d’Élysée, du prophète Abdias, de saint Jean-Baptiste, de saint Martin et de saint Félix. Mais ces miracles, comme on va le voir, n’ont rien de commun avec le miracle que je somme les thaumaturges modernes de nous faire, à savoir : de nous montrer une petite pièce d’or de cinq francs, qui ne pèse pas deux grammes, soutenue en l’air et immobile à quelques centimètres au-dessus d’une table, celle-ci fût-elle environnée des soixante mille mediums américains mâles ou femelles. En effet, il est expressément dit dans les quatre historiens de ces miracles que c’étaient des corps vivans d’hommes ou de femmes qui étaient (ou qui paraissaient) ainsi suspendus en l’air. Ils ajoutent que, chose étonnante, les vêtemens des femmes ainsi renversées et marchant les pieds en l’air ne retombaient pas cependant sur leur tête qui était en bas, et que ce second miracle était pour faire enrager le diable, qui aurait bien voulu que le miracle blessât la pudeur. Satan est bien plus vexé quand l’honnêteté n’est pas compromise ; — illæso gravius torquetur honesto.