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plusieurs cas, aux communications nerveuses, en remplaçant les nerfs par des fils ou des conducteurs métalliques de l’électricité. Je passe mille autres faits aussi curieux qu’importans.

Et on voudrait nous faire croire que tandis que les êtres vivans sont obligés d’employer un appareil si savant, si compliqué, si délicat, si bien coordonné, pour faire du mouvement matériel avec la volonté, ou, pour mieux dire, aux ordres de la volonté, on obtiendra directement, sans intermédiaire, sans aucun des moyens employés par la nature, des mouvemens en opposition avec toutes ses lois : c’est vouloir gagner à la loterie sans avoir pris de billets[1].

Abordons maintenant le côté soi-disant religieux de la question des manifestations prétendues surnaturelles. Je dirai d’abord que je ne partage nullement la crainte que le démon, le principe du mal, attende les fidèles au coin d’une table mobile comme un assassin au coin d’un bois, et ne tende, de cette bizarre position, des embûches fatales à leur foi et à leurs principes religieux et moraux. Cependant j’approuve fort les écrits pleins de haute sagesse par lesquels les chefs de notre clergé pastoral ont prémuni les chrétiens contre les dangers de la superstition. Ces mandemens, dignes en tout point de la position élevée du clergé séculier français, ne me laissent rien à dire sur ce sujet. Il n’est peut-être aucun acte de ce corps, dont la puissance directrice est si étendue, qui ait provoqué une plus unanime approbation et une absence si complète de réclamations intéressées.

Maintenant, si dans les campagnes comme dans les villes les tables tournantes sont interrogées avec persévérance, consultées avec confiance sur les affaires de la vie ou sur les espérances de l’avenir, si même des inconvéniens graves peuvent résulter de l’autorité que peuvent s’arroger les mediums de

  1. Cette idée de chercher le critérium de la vérité dans l’observation, idée qui a si heureusement guidé les bons esprits dans les sciences physiques, n’a pas moins d’importance dans bien d’autres branches de nos connaissances. Un écrivain qui aimait à rapprocher les questions morales des questions scientifiques l’avait appliquée à l’organisation sociale. « Voulez-vous régler la société ? disait M. Aimé Martin ; étudiez l’homme tel qu’il est, tel qu’il doit être, tel qu’il peut être; faites des lois et des plans d’éducation d’après les instincts des masses que vous voulez gouverner. L’homme est un être sociable, faites-le jouir des avantages de l’association et de la mise en communauté des efforts de tous pour le bien-être général. D’autre part, l’homme a le sentiment de l’indépendance; ne lui demandez donc que le sacrifice de la part de libre action nécessaire au maintien de la société, et qui doit payer les avantages qu’il retire de l’association à laquelle il est affilié. Evitez comme contraire à la nature de l’homme, et il despotisme social qui confisque l’indépendance individuelle au profit de la société trop exigeante, et l’anarchie qui détruit la société au profit mal entendu de l’indépendance individuelle. Observez les lois de la nature pour faire les lois de la société. » — De nombreux exemples viennent à l’appui de ces sages conseils. S’il est un droit contesté par un grand nombre d’utopistes, c’est celui de la transmission de la propriété de la terre par hérédité. Eh bien ! cette non-transmissibilité, en éloignant les populations des travaux agricoles dans les domaines de main-morte, a dépeuplé la Turquie, la Grèce, l’Asie-Mineure, la Syrie, l’Arménie, la Perse, l’Arabie, l’Egypte et les pays barbaresques. Dans ces états, il n’y a de propriété que les valeurs mobilières, et ce n’est pas travailler pour les siens et pour soi que de cultiver et d’améliorer les produits de la terre. On voit comment la méthode expérimentale peut servir dans bien des cas à justifier les principes sur lesquels se base la forte organisation de celles de nos sociétés modernes qui sont en prospérité.