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mat et livide avait remplacé sur son visage le teint vermeil de la jeunesse; ses yeux avaient le morne éclat du regard de l’insensé, et sa tête s’inclinait avec abattement sur l’épaule gauche.

Après être resté plus d’une demi-heure sans bouger, il entendit derrière la bordure d’aunes les feuilles sèches craquer sous un pas d’homme; en se retournant, il vit le vieux curé de Desschel qui s’approchait de lui. Il fit un visible effort pour donner à ses traits leur expression habituelle et insouciante; il salua le prêtre en essayant de sourire, mais, hélas! ce sourire n’annonçait que la souffrance et de navrantes douleurs.

Le curé lui fit signe de s’asseoir sur l’herbe, lui prit la main, et le regardant avec une expression de pitié profonde, il lui dit d’un ton grave : — Jean, est-ce ainsi que vous tenez votre promesse ? Encore, toujours sous le hêtre ! Voulez-vous donc que votre mère accomplisse sa menace et fasse abattre l’arbre pour vous guérir ?

À ces mots, le jeune homme tressaillit convulsivement, et, fixant sur le prêtre un regard étincelant, il s’écria : — Comment! abattre l’arbre... abattre le hêtre ? Oh! non, non, mon père, je tuerais les ouvriers !

Cette sortie surprit le bon curé, qui souvent s’était efforcé, par de sages conseils, de faire oublier à Jean l’objet de sa tristesse, et qui pensait avoir déjà gagné du terrain. Il répondit sans colère et d’une voix toute paternelle :

— Jean, mon fils; c’est un péché que de parler ainsi. Votre mère a dit cela à la volée, et, vous le savez bien, toutes ses paroles ne sont pas Evangile; mais que vous, qui avez du cœur et de l’esprit, vous vous laissiez emporter, à propos de choses aussi frivoles, par un rêve insensé, jusqu’à des menaces de mort, je ne le comprends pas, et cela me fait grande peine. Ai-je mérité que vous me répondiez ainsi ?

— Pardonnez-moi, mon père, dit le jeune homme, dont les yeux annonçaient un sincère repentir. Je sais que vous ne souhaitez que ce qui me serait bon et profitable; mais il y a dans mon cœur quelque chose d’incompréhensible, et qui est plus puissant que votre parole et que ma volonté.

— Jean, il est écrit : Celui qui cherche le danger y périra, et il en est ainsi de vous, mon ami. Si vous ne vous complaisiez pas dans des rêveries qui paralysent votre corps par le défaut de mouvement, si vous travailliez aux champs, comme c’est votre devoir, vous oublieriez bientôt la cause de vos chagrins; la santé et le courage vous reviendraient, et vous seriez en état de travailler pour votre mère malade. Mais non, vous passez toutes vos journées sous cet arbre ou sur le coteau, et vous êtes non-seulement un grand pécheur en ne remplissant pas vos devoirs envers Dieu et envers votre mère, mais