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l’émouvait comme une ravissante harmonie. La mère Teerlinck la regarda d’un air interrogateur ; elle semblait dire : Eh bien ! que dites-vous de mon fils ? Est-il fou ? — Mais Trine continuait d’écouter religieusement, même après que Jean avait fini de parler.

— Pauvre garçon, dit la vieille, prenez courage ! Je suis pauvre et âgée, c’est vrai; mais si vous voulez rester près de moi, je vous aimerai toujours bien, et je travaillerai pour vous de tous mes doigts.

Le jeune homme porta à ses lèvres la main de la vieille femme, mais ne répondit pas.

— Jean, dit la mère Teerlinck avec douceur, si vous voulez absolument sortir, il ne faut pas y renoncer pour moi ; je vous accompagnerai.

— Bonne maman, répondit Jean d’une voix suppliante, je désire sortir; mais je dois sortir seul. Ma tête brûle; je trouverai du soulagement dans la solitude. Demain, bonne maman, je vous dirai qui je suis et quelle douleur inouïe a empoisonné ma vie. Laissez-moi partir et restez ici bien tranquille; dans une heure, je serai de retour.

La mère Teerlinck mit en main à Jean ses propres béquilles, le conduisit jusqu’au bas de l’escalier, lui adressa encore quelques douces paroles, et ferma la porte derrière lui.

Le jeune malade s’en va d’un pas chancelant, longeant les maisons dans l’obscurité; il s’appuie sur les béquilles que lui adonnées la vieille, et la fatigue le fait bientôt haleter péniblement. Assurément il va vers un but précis, car il n’hésite pas dans le choix des rues. De temps en temps il s’arrête et se repose, puis il se remet en route, et continue ainsi jusqu’à la place de Meir. Là encore il se serre contre les maisons et se glisse lentement dans les ténèbres comme un voleur ou un espion. Bientôt il s’arrête sous les fenêtres closes d’une magnifique habitation ; il pose son coude sur le rebord de pierre de taille et cherche à voir au travers des persiennes. L’intérieur est éclairé, car un rayon de lumière frappe le visage du jeune homme, qui, après être longtemps resté en observation, succombe tout à fait à la fatigue, et, comme inanimé, laisse tomber sa tête sur l’appui de la fenêtre.


IX.

Dans le riche salon sur la fenêtre duquel le jeune homme épuisé reposait sa tête se trouvaient deux personnes. Le colonel van Milgem était assis dans un fauteuil de velours, près de la cheminée de marbre; il semblait en proie à une profonde préoccupation, car son regard pensif était opiniâtrement fixé sur le tapis de pied. Auprès d’une table sur laquelle se trouvait un nécessaire en argent, une