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jeune fille était occupée à enfiler des perles. Son visage, extrêmement pâle, portait tous les signes d’une longue maladie de langueur, et la mate blancheur de ses joues était d’autant plus frappante qu’au moindre mouvement les longues boucles de sa chevelure d’un noir de jais venaient les caresser. Après un long silence, Elle chanta à voix basse le refrain de la chanson de Rikke-tikke-tak. Cela déplut apparemment au colonel, car il secoua la tête d’un air chagrin, et dit à la jeune fille : — Monique, ne chante donc pas toujours cette chanson; cela entretient ta tristesse, — et tu sais que cela me fait peine.

— Mon Dieu, l’ai-je encore chantée ? s’écria Monique avec surprise. Je ne le savais pas, mon père ; pardonnez-moi ma distraction.

— Eh bien ! demanda le colonel, la bourse est-elle bientôt achevée ? Pauvre Adolphe, quelle joie ton cadeau va lui faire! Il t’aime tant!

— Où peut-il être maintenant ?

— Oh ! ce serait difficile à savoir. Qui peut dire s’il ne gît pas dans quelque hôpital, ou si une balle ennemie ne l’a pas frappé sur le champ d’honneur ?

— Ciel ! vous me faites frémir, mon père !

— Comment, je te fais frémir ! Portes-tu donc quelque intérêt à son sort, Monique ?

— Je l’aime assurément comme un frère.

— Tu devrais l’aimer autrement, Monique. Il le mérite de tout point : c’est un beau garçon, doué de tout ce qui peut relever un homme aux yeux d’une femme. Et puis il fut le sauveur de ton père à la sanglante bataille de Dresde. Si l’amour ne trouve pas le chemin de ton cœur, la reconnaissance devrait te décider à suivre mes conseils, à céder à mes prières, et à lui accorder la récompense de sa générosité et de son amour.

— O mon père, regardez-moi! Que pourrais-je donner à Adolphe ? n n’y a pas de place dans mon cœur à côté de mon amour pour vous. Une épouse insensible ! Faut-il que je fasse son malheur par mon indifférence ? Un mari demande mieux pour son bonheur qu’une froide amitié... J’éprouve d’ailleurs une invincible répulsion pour des liens qui me priveraient de ma liberté.

— Quelle liberté, Monique ? La liberté de rêver et de songer ? Plût à Dieu qu’elle te fût ôtée, cette liberté qui te consume et te rend malade ! Vois un peu, mon enfant, quand nous habiterons notre campagne près de Moll, combien ne serais-tu pas heureuse d’avoir un ami qui parcourût avec toi ta chère bruyère, qui visitât avec nous le hêtre et le petit ruisseau, qui fût le compagnon de notre solitude ! car tout cela, mon enfant, est froid et mort quand aucun sentiment d’affection ne vient l’animer; le cœur se dessèche quand il ne peut s’épancher dans un autre cœur.