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campagne, a fait, nous le croyons, une part trop grande à la sagesse prophétique de l’opinion ultramontaine et ultra-monarchique, c’est ici que M. Nettement entreprend avec une sévère et ingénieuse impartialité l’analyse de ce qu’il appelle le spiritualisme rationaliste et monarchique, et qu’il suit dans toutes leurs marches et toutes leurs tendances le libéralisme et la révolution.

Il serait facile de se demander, sur l’ordre que s’est imposé l’auteur dans le développement et la filiation des sujets qu’il parcourt, s’il a dû, pour son classement intellectuel des quinze années de la restauration, placer d’abord la poésie, puis la politique, puis l’histoire, puis la philosophie. Évidemment, comme on l’a senti déjà, sous la restauration de 1814, par la puissance du fait et les calculs ou les passions des hommes, la question religieuse arrivait vite, et elle devait longtemps rester en tête. Par là même, la forme de résistance dut être empruntée souvent à l’esprit sceptique, à l’esprit irréligieux, appui malheureusement faible pour l’esprit de liberté; car toutes les forces morales se tiennent dans ce monde : la fermeté de conscience religieuse est un appui pour la fermeté de conscience civique; les croyans à l’ordre spirituel sont d’autant plus capables de convictions et de sacrifices dans l’ordre temporel, et le sentiment du devoir et de la dignité morale est une des choses qui garantissent le mieux la probité politique.

Tout le règne de Napoléon en avait été la preuve. On avait vu avec quelle facilité il avait plié les républicains athées de la convention et les épicuriens du directoire à toutes les métamorphoses d’opinions et à toutes les formes de servitude. On avait vu comment il avait transformé en adorateurs du pouvoir absolu les mêmes esprits qui avaient secoué toute ancienne croyance et tout ancien respect. Un écrivain même que M. Nettement a rangé dans l’école révolutionnaire, mais qui n’était sceptique que par faiblesse de caractère, Benjamin Constant, a montré quelque part avec une amère et piquante énergie combien l’esprit positif et ce qu’on a nommé l’esprit algébriste, qui ne voit que des forces et des nombres, s’accommode aisément du pouvoir absolu, lui cède sans résistance aucune, et se prête même avec une singulière indifférence à cette rapide consommation de la vie humaine, à ce mépris de la matière animée et souffrante qui fut un des caractères malheureux de l’empire. Et il faisait remarquer à cet égard que pas une fois, du milieu des savana illustres dont Napoléon avait décoré le sénat, un mot de doute ne s’était élevé sur les demandes excessives de contingens militaires, ni une instance favorable à l’appui des recours en grâce.

Soyons justes cependant, car, bien qu’il y ait des opinions plus vraies que d’autres, ou même exclusivement vraies, l’âme humaine