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Bossuet, Pascal. Esprit supérieur et difficile, mécontent de son siècle et se satisfaisant avec peine lui-même, il ne s’était entretenu que des plus grands modèles de l’art de penser et n’avait goûté que la philosophie la plus haute d’origine et de principes, soit dans les inspirations des plus immortels penseurs, soit dans les analyses méthodiques et détaillées qu’en avaient données de nos jours Thomas Reid et Dugald Stewart avec cette droiture morale et ce bon sens si dignes de commenter le génie.

Ses premières paroles mêmes indiquaient la forme nouvelle de son enseignement, et semblaient faites pour étonner les sectateurs de la sensation transformée, seule doctrine régnante alors. « Toute la science humaine, disait M. Royer-Collard en commençant, peut être ramenée à deux objets : les esprits et les corps, le monde intellectuel et le monde matériel. » Et bientôt, marquant les conditions différentes et les progrès inégaux de ces deux études, il faisait ressortir l’immensité de la première, « non moins authentique, disait-il, non moins démontrable que la seconde, » et il en revendiquait noblement l’impérieuse préséance et l’évidente vérité.

Après quelques mots sur les disciples français de Locke et sur l’analyse des facultés humaines, regardée alors comme la science même, et comme toute la science : « N’ont-ils rien oublié ? s’écriait-il avec une grave ironie. Quelle expérience nous assurera que la sensation suffit pour féconder toutes les régions de l’intelligence et du sentiment ? Parce qu’elle a précédé l’exercice de nos facultés, celles-ci en sont-elles moins originales, et ne doivent-elles rien à leur propre énergie ? Est-ce la sensation qui perçoit, qui se souvient, qui juge, qui raisonne, imagine ? Est-ce dans la sensation qu’est tracée la règle éternelle des droits et des devoirs ? Quand elle enseignerait l’utile, enseigne-t-elle le beau et l’honnête ? A-t-elle inspiré ce vers ?

Summum crede nefas animam præferre pudori. »

Puis, impartial dans l’ardeur même de ses généreuses doctrines, reconnaissant ce qui avait pu manquer d’observation patiente à la psychologie de Descartes et de Malebranche, rendant hommage à l’analyse de Bacon, et proposant de suivre dans l’étude de l’âme la méthode même des sciences inductives, il arrivait à dire que « la lumière de l’évidence éclairant toutes les lois de la nature, la philosophie serait un jour une science aussi parfaite et plus complète que la géométrie. »

C’étaient là, il faut l’avouer, des vérités bien inattendues, bien étranges à proclamer sous le règne du fer et de l’algèbre; c’était, en des termes modestes, le réveil de la puissance morale de l’homme, de la liberté indomptable de l’âme et de la loi intérieure du devoir