Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/598

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

surtout aux quinze années de la restauration, le mérite d’une grande et féconde direction historique, d’une supériorité véritable dans une des plus grandes œuvres de l’intelligence et de l’art.

Ce fut en effet un des titres éminens de ce temps, continué par le nôtre. Tacite avait expliqué deux fois comment à Rome, sous l’empire, le génie des historiens s’était successivement amoindri et découragé, d’abord par le progrès de l’adulation[1], puis par l’ignorance de la chose publique, devenue[2] comme étrangère, enfin par les soupçons et les rigueurs croissantes des nouveaux Césars. Une influence toute contraire, un ordre inverse de changemens devait amener parmi nous, il y a trente ans, des effets tout opposés. L’esprit d’examen et même de satire avait chassé bien loin la flatterie. La chose publique était bien connue et pénétrée de toutes parts, les documens anciens et nouveaux se produisaient en foule; enfin nulle crainte ne gênait la liberté des recherches et des récits. Seulement il me semble qu’en rendant à la restauration cette justice qui lui est due, il aurait fallu ne pas la borner à cette époque et constater le même caractère dans les années qui suivirent immédiatement. Alors, à la vérité, nous aurions eu l’histoire de la littérature française, non pas seulement sous la restauration, mais pendant toute la durée de la monarchie constitutionnelle; l’historien et les lecteurs eussent retrouvé les mêmes talens, quelquefois les mêmes influences à deux dates diverses. L’ouvrage n’y eût pas perdu, même pour l’unité, car les diversités de circonstances font ressortir les vérités de principes que le besoin ramène ou que la logique retrouve.

Au reste, ce développement n’est peut-être qu’ajourné, et tout en concevant très bien l’intérêt moral d’un tableau littéraire de la restauration, et en nous bornant ici nous-même à l’esquisse de cet ordre de souvenirs plus paisibles et déjà loin de nous, il nous semblerait d’une haute importance pour l’histoire bien comprise d’étendre la même étude à toute la durée du régime représentatif en France. Cette épreuve plus longue, cette carrière plus libre mettrait encore mieux les choses et les personnages dans tout leur jour. Quelques-unes des vérités mêmes auxquelles tient le plus l’auteur y gagneraient beaucoup. On y verrait par exemple, avec une édification profitable, les changemens de perspective dont l’histoire du passé est susceptible dans le cours d’un quart de siècle et plus. On n’aurait pas seulement les deux plaidoyers des partis opposés, l’histoire apologétique et l’histoire accusatrice, sous la première impression des

  1. Nec defnere decora ingenia donec gliscente adulatione deterrerentur. (Ann., lib. XIV.)
  2. Magna illa ingenia cessere — simul veritas pluribus modis infracta, primùm inscitia reipublicæ, ut alienæ, mox libidine assentandi. (Hist., lib. I.)