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événemens accomplis; on aurait encore, ce qui n’est possible qu’après un certain délai et ce que nous voyons aujourd’hui, l’histoire systématique à froid, l’utopie paradoxale du passé, quelquefois même la réhabilitation romanesque et dramatique des folies et des forfaits. Puis d’un autre côté on aurait, non plus l’accusation seulement, mais le jugement méthodique, la démonstration impartiale et successive des fautes, des malheurs publics, l’expiation enfin de l’erreur et du crime sous l’accablement des témoignages, en un mot l’histoire de M. Michelet et celle de M. de Barante.

Quelque juste dans sa rapidité que soit le coup d’œil jeté par M. Nettement sur cette partie de notre gloire littéraire durant quinze ans, et malgré la part qu’il a faite à d’autres écrits remarquables de la même époque, l’Histoire de la Fronde de M. de Sainte-Aulaire, l’Histoire de Pologne de M. de Salvandy, le jugement reste donc incomplet, et c’est à la critique moderne de l’achever.

Nous n’hésiterons pas à louer dès ce moment l’impartialité courageuse de l’auteur, lorsqu’il parle des Études historiques de M. de Chateaubriand. Malgré son admiration pour ce rare génie, l’écrivain le plus éclatant du XIXe siècle, il ne voit avec raison dans les volumes de M. de Chateaubriand sur l’histoire ancienne et sur l’histoire de France que des fragmens peu liés et des esquisses inégalement colorées. Nulle vue grande et neuve n’a dirigé la route de l’historien; nul problème n’a été résolu; nul tableau n’a été terminé. Ses Quatre Stuarts semblent une prédiction dont la transparence même détruit l’effet, et où la colère et l’impatience haineuse ôtent le piquant de l’allusion. La partie des Études historiques qui touche à la fin de l’empire romain et aux premiers siècles de notre ère est trop dénuée de recherches originales, trop abrégée, trop inexacte, et paraît n’offrir que le rebut, des notes qui avaient fourni de si vives images à quelques chants du poème des Martyrs. Quant à la seconde partie des Études historiques, à celle qui s’occupe du moyen âge et de quelques règnes de notre histoire, on y trouve ce goût du passé féodal et cette imitation des vieilles chroniques qui fut une des grâces et une des nouveautés de ce magique talent. Malheureusement l’auteur ne reste pas fidèle à cette forme; il y mêle par momens l’histoire philosophique et même l’histoire satirique. On tombe de la candeur de Joinville dans l’âpreté incisive du pamphlet parlementaire. En un mot, M. de Chateaubriand, avec d’admirables dons d’imagination et de style, a manqué cette gloire de l’historien qui semblait une des palmes à cueillir dans notre siècle, La belle et forte maturité où le prenait la restauration s’est consumée pour lui dans les débats d’une controverse trop souvent personnelle, dans les luttes de la tribune où il n’avait que la moitié de son génie, dans des ambassades plus fastueuses qu’effectives, et