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fait abattre pour en construire une autre d’après les modèles antiques. Léon X est bon, aimable, généreux, mais il veut vivre, ma vol viver, dit un ambassadeur vénitien, Marco Munio, dans son rapport au doge, et c’est le gardien de la foi qui introduit en Europe toutes les grâces païennes de la renaissance. Pendant ce temps-là, Luther grandit au fond de son couvent : gracieux et dramatique prologue d’une telle histoire ?

Un des faits les plus importans qu’ait signalés M. Ranke, c’est l’apparition au sein du clergé italien d’un mouvement d’édification et de réforme assez semblable à ce que fut le protestantisme des premiers jours. Déjà, sous Léon X, à l’époque où c’était la mode et le ton général de persifler les vérités chrétiennes, à l’époque où un dilettantisme raffiné substituait les jouissances de l’art païen aux enseignemens de Jésus, cinquante ou soixante prêtres, réunis à l’église de Saint-Sylvestre et Dorothée, non loin de l’endroit où la tradition place la demeure de saint Pierre, avaient formé sous le titre d’Oratoire de l’amour divin une conférence et presque un ordre religieux où des âmes ardentes et pieuses se fortifiaient mutuellement dans la foi. Ce mouvement de régénération chrétienne, assez peu remarqué jusqu’ici, bien qu’il soit consigné dans Caracciolo, l’intéressant biographe de Paul IV et de saint Gaétan, n’a pas manqué d’attirer la sympathique attention de M. Ranke ; il le suit d’un regard pénétrant à travers toutes les vicissitudes de ces dramatiques années ; il montre avec joie le peu de distance qui séparait alors les catholiques des protestans, et on devine les regrets de l’écrivain, lorsque les deux partis, emportés par les complications de la lutte ou séparés de plus en plus par les passions qui s’enflamment, ont consommé le fatal divorce. Quelle distance, hélas ! de la sage modération, de la prudente humanité du cardinal Contarini, qui joue un si grand rôle dans les conférences de Ratisbonne en 1540, aux téméraires emportemens d’Ignace de Loyola ! L’apparition du fondateur des jésuites a quelque chose de nécessaire dans l’habile récit de l’historien, et je ne pense pas que l’œuvre de ce bizarre et puissant personnage ait jamais été décrite avec une précision plus piquante, appréciée avec un plus vif sentiment du vrai. Derrière le christianisme italien du XVIe siècle, impuissant, même chez les meilleurs, à dominer une révolution terrible, on voit subitement apparaître le christianisme espagnol avec ses étranges ardeurs et son esprit de conquête. Il y avait eu un moment, M. Ranke le montre à merveille, où l’on était disposé aux concessions mutuelles ; l’Allemagne ne voulait pas l’abandon complet de la hiérarchie, l’Italie avait le goût des réformes. Ce moment-là passé, on alla toujours se séparant davantage. Calvin est plus anticatholique que Luther, et après