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que les jésuites sont constitués, les efforts des théatins sont inutiles. Ainsi deux ruisseaux prennent leur source sur une même montagne ; ils grandissent, ils coulent, ils s’éloignent l’un de l’autre, et, comme dit Pascal, en voilà pour jamais.

Cette analyse des différentes phases que parcourt la régénération de l’église est de main de maître. Il faut recommander aussi la peinture des papes qui se succèdent de Paul III à Pie V, fines et doctes études où la bienveillance ne nuit pas à la pénétration. Le portrait de Grégoire XIII, celui de Sixte-Quint surtout, tracés tous les deux à l’aide de précieux documens inédits, donnent une conclusion logique à tout le volume et couronnent noblement ce grand tableau. Nous avons vu, en débutant, l’insouciante papauté de Léon X, et nous voici arrivés à l’homme en qui se relève la puissance d’Innocent III. L’église, au commencement du XVIe siècle, donnait le signal du scepticisme mondain ; le siècle finit à peine, et cette brillante cour de Rome, dont l’incrédulité provoqua la révolte de Luther, va imposer la foi autour d’elle avec une irrésistible autorité. Les arts avaient ouvert la révolution religieuse, les voilà devenus un instrument de la restauration catholique ; à l’Arioste succède le Tasse, Raphaël et Michel-Ange sont remplacés par les Carraches. On se passionnait naguère pour la langue de Platon et de Démosthènes ; voyez maintenant le grand helléniste, Alde Manuce, attendant à la porte de l’université des auditeurs qui n’arrivent pas ! Encouragés par la faveur de la cour, les philosophes du temps de Léon X discutaient librement sur l’immortalité de l’âme et ne craignaient pas d’adopter le sentiment d’Aristote ; que sont devenus leurs successeurs ? Telesio, malgré sa circonspection, est confiné dans sa petite ville ; Campanella est obligé de chercher son salut dans l’exil, et Giordano Bruno est condamné au feu. Le secret de cette révolution est l’unité même du livre de M. Ranke.

La partie la plus sympathique de ce tableau, c’est assurément la période où des tentatives de conciliation étaient faites par l’Oratoire de l’amour divin. Ce que M. Ranke appelle la restauration catholique est trop souvent une réaction violente qui passe le niveau sur le génie italien. L’auteur a beau se piquer d’impartialité, il a beau raconter avec une ingénieuse bienveillance ce qui est ordinairement le texte de déclamations passionnées : il y a un point où cette impartialité fait défaut. Lorsqu’il peint, non plus la résistance de l’église en péril, mais ses efforts triomphans pour reconquérir l’empire spirituel du monde, pourquoi accorde-t-il si peu d’attention à notre XVIIe siècle ? C’est là le plus glorieux épisode dans la grande bataille intellectuelle du monde moderne. Le jour où Bossuet, et avec lui toute l’église cartésienne, relève d’une main si puissante la bannière du