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statues. Il est brisé, ce bel accord de la nature et des monumens; il y est inconnu, ce lien de l’Acropole et du Parthénon, qui les attache si étroitement que le rocher athénien serait le plus affreux rocher du monde sans sa couronne d’albâtre. Ces harmonies, faites pour le peintre et pour le poète, n’existent point en Judée, car il est aussi difficile aujourd’hui de reconnaître les vestiges des premiers dominateurs de ce pays que les pas des Arabes sur le sable du désert qui est à ses portes.

Et pourquoi ? C’est que la nation juive n’a eu à vrai dire qu’un seul monument, et qu’il est détruit depuis plus de deux mille années. Ce monument, c’est le temple de Salomon, dont il ne reste rien, si ce n’est la description assez confuse qu’on en lit dans l’Écriture. Ne soyons-donc pas surpris si tous les auteurs qui ont traité de l’architecture des anciens peuples se sont accordés à dire qu’on ne sait que bien peu de chose de celle des Hébreux[1]. Il y a plus; un des hommes qui ont le mieux connu l’antiquité biblique, l’illustre Michaëlis, a voulu prouver que les Juifs n’étaient que de pauvres architectes au temps de Salomon. Cette incapacité a été de longue durée. Copier les Phéniciens parait avoir été le but de tous leurs efforts. Or, comme les Phéniciens n’ont pas laissé un seul monument, on peut juger d’après cela de l’immense difficulté de se rendre un compte exact et sévère de l’architecture des Hébreux.

Mais supposons pour un instant que Michaëlis et les historiens de l’art soient pleinement dans l’erreur; supposons que les Juifs aient été d’habiles architectes, supposons qu’une race si rapprochée du désert, et par conséquent nomade à son origine, puisse être placée sur la même ligne que des nations agricoles et sédentaires, et forcées par cette raison d’apprendre de bonne heure à bâtir : il ne faudrait pas pour cela méconnaître l’importance d’un fait capital pour l’intelligence de l’archéologie biblique, et sur lequel nous devons insister. C’est une terre cruellement bouleversée que cette terre de Judée ! On a dit éloquemment qu’elle avait été travaillée par les miracles; il faut ajouter, pour être vrai, qu’elle l’a été plus encore par les révolutions. La Judée était un vaste chemin ouvert aux conquérans de l’Egypte ou de l’Asie. Odieux aux autres peuples, les Juifs n’étaient entourés que d’ennemis. Leur histoire n’est qu’une alternative sanglante de victoires ou de défaites, entremêlées de longues périodes de servitude. Occupés sans cesse à se préserver du joug de l’étranger, ils succombèrent à la fin, et leur capitale perdit jusqu’à son nom. Jérusalem a été prise et saccagée dix-sept fois, un million d’hommes ont été tués autour de ses murailles. Les Juifs auraient construit autant et plus que les Romains, que d’aussi effroyables catastrophes expliqueraient l’impossibilité où l’on est de trouver des restes de l’architecture hébraïque. Et quand il serait vrai que les guerres, le temps et la barbarie ne se seraient point conjurés pour disperser et anéantir tous les débris de la première

  1. Voyez Hirt, Geschichte der Baukunst. Ce savant commence le chapitre qu’il a cru devoir consacrer à l’architecture hébraïque et phénicienne par déclarer qu’il ne reste plus rien de cette architecture. « Tout ce qu’on peut conjecturer sur l’art hébraïque, dit Winer, c’est qu’il ne mérita jamais d’être considéré comme un art, puisqu’il ne dépassa point les limites d’un mécanisme grossier. » Voir Winer, Biblisches Real Wœrterbuch.