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sacerdoce, d’une main inexorable, lui avait tracé ? Si quelquefois, quand on remonte le cours des âges, on est frappé d’un faux air de famille entre des œuvres d’essence si différente, ceci provient de ce que partout, au début, les difficultés pratiques arrêtent et maîtrisent l’essor du talent. Les arts en tout pays ont eu leur enfance ; aussi les monumens de la première heure paraissent-ils tous jumeaux.

Comment M. de Saulcy, lui l’habile antiquaire, n’a-t-il pas été ébranlé par des considérations de cette nature ? Il est vrai que nous aurions été privés de ce sarcophage transporté des Qbour-el-Molouk au Louvre sous ce titre imposant : Tombeau du roi David! Avouons que la perte n’eût pas été irréparable. Rien que pour sauver l’honneur de la sculpture hébraïque, il faudrait contester l’origine donnée à ce morceau[1]. Qu’on se figure une longue bière dont le couvercle arrondi est orné de larges bandes où se déroulent des rinceaux de pampre entremêlés de grenades et de coloquintes; ciseau maladroit, ornementation recherchée, goût douteux, détails trop nombreux, voilà ce que montre cette œuvre bizarre, marqués du sceau de la décadence. C’est de Byzance, mais non de Jérusalem, qu’elle évoque le souvenir.

Au nombre des argumens réunis par M. de Saulcy pour faire naître la conviction dans l’esprit de ceux qui le lisent, il en est un sur lequel il fonde beaucoup d’espérances; c’est dans la tradition qu’il puise cet argument. Que cette tradition soit juive, chrétienne ou musulmane, cela lui importe peu. Du moment où elle tient au pays, il n’en faut pas davantage pour que le voyageur l’accueille sans défiance. Que la tradition orale soit aussi oublieuse que capricieuse, voilà, d’un autre côté, ce que certains témoignages donneraient à croire[2]. Un célèbre voyageur arabe, Ibn-Batoutah[3], a fait le

  1. Cette origine deviendrait cent fois plus douteuse, s’il était vrai qu’un sarcophage sans inscription, trouvé près de Beyrout et placé nouvellement dans une des salles de la sculpture assyrienne au Louvre, est phénicien. En effet, rien de plus dissemblable que ces deux monumens. Si le sarcophage de Jérusalem ressemble à une bière, le second, qui rappelle la gaine égyptienne, offre à l’une de ses extrémités une tête de femme dont les cheveux sont bouclés à la manière des statues d’Égine. Il est impossible cependant de reconnaître dans cette tête l’art phénicien. Entre les sculptures d’origine asiatique qui sont dans la même salle et celle Beyrout le contraste est frappant. Ce bel ovale, cette ligne du front et du nez si peu tourmentée, ces grands plans et cette grâce qui décèle partout la Grèce, excluent, nous le répétons, dans le monument de Beyrout toute idée d’art phénicien. Sous le règne d’Auguste, Beryte avait cessé d’être phénicienne, et l’art mélangé de l’époque impériale ou le caprice d’une famille riche a pu produire le nouveau sarcophage du Louvre. Il nous semble que la première condition pour décider qu’un monument appartient à l’art phénicien, c’est de connaître cet art. Or en est-on là ? D’ailleurs, si l’érudition invitait plus souvent les artistes à prendre la parole dans des questions qui reposent spécialement sur l’appréciation des caractères et des styles pour les œuvres plastiques, elle ferait preuve de sagesse et de bon goût.
  2. Ce qui est certain, c’est que la tradition, au XIVe siècle, ne voyait nullement dans les grottes royales la tombe des rois de Juda. On peut consulter à ce sujet l’itinéraire d’Isaak Cheto, juif portugais fort instruit, qui s’établit à Jérusalem en 1333. « Les sépulcres de la maison de David, dit-il, qui étaient sur la montagne de Sion, ne sont plus connus aujourd’hui ni des Juifs ni des musulmans, car ce ne sont point les tombeaux des rois... Ces derniers sépulcres... sont près de la caserne de Bou-Syra. » — Voyez Carmolyn. Itinéraires de la Terre-Sainte, Bruxelles, 1847, pag. 238.
  3. Voyage d’Ibn-Batoutah, t. Ier, p. 119.