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procès à la tradition orale musulmane en racontant l’anecdote que voici : « Un certain iman, qui avait des doutes sur l’authenticité de ces tombeaux, — il s’agit des tombeaux d’Abraham, d’Isaac et de Jacob à Hébron, — entra dans la grotte, et se tint debout auprès du tombeau. Survint un vieillard auquel il demanda lequel de ces sépulcres était le tombeau d’Abraham; le vieillard lui indiqua le tombeau désigné par le nom du patriarche. Puis entre un jeune homme auquel il fit la même question, et celui-ci montra le même tombeau. Enfin arrive un enfant, lequel fait la même réponse. Alors l’iman s’écrie : Le doute n’est plus permis, ce sépulcre est réellement celui d’Abraham. » M. de Saulcy ne s’est-il pas un peu trop hâté, à l’exemple de l’iman d’Hébron, de s’écrier : « Voilà la tombe des rois de Juda ? »

Toutes les légendes recueillies par l’auteur du Voyage dans les Terres bibliques, et empruntées à la tradition orale sur les tombeaux d’Absalon, de Josaphat, de Zacharie, des juges de Juda, et cent autres encore, sont des plus suspectes. Les qualifications arbitraires que fournit la tradition orale sont ou l’indice de certaines fraudes pieuses, ou une marque de l’empressement des premiers siècles de l’église à appliquer certains passages de l’Ancien et du Nouveau Testament à quelques localités au dedans ou au dehors de Jérusalem. Il est bien à regretter que les opinions de M. de Saulcy sur l’architecture hébraïque aient mis en défaut sa pénétration habituelle. Sans une préoccupation profonde à cet égard, en dépit de son respect pour la tradition orale, il serait resté incrédule par exemple à l’endroit du tombeau d’Absalon. En effet, puisqu’il rejetait comme une fable absurde la tradition musulmane, qui place le tombeau de David dans la petite mosquée de Naby-Daoud, sur la montagne de Sion, il devait nécessairement, au même titre, se mettre en garde contre la légende rabbinique sur le tombeau d’Absalon. Malheureusement, nous le répétons, M. de Saulcy n’a pas su résister en cette circonstance aux influences décevantes de l’esprit de système, et comme il a eu occasion de remarquer que ce tombeau, prétendu monument d’un fils rebelle, orné de colonnes ioniques et d’une frise dorique, était surmonté d’une sorte de pyramidion dans le goût de l’Egypte, il est parti de ce point pour conclure que ce qu’il voyait n’était autre que quelque petit chef-d’œuvre sorti des mains des artistes de la cour du roi David. M. de Saulcy affirme même qu’il n’a jamais vu ailleurs le mélange bizarre que présente le tombeau d’Absalon. Cependant, lorsqu’il explorait la pointe méridionale de la Mer-Morte, il lui aurait été bien facile de rencontrer des monumens du même genre. Quelques journées de voyage de plus vers le sud-est, et il trouvait dans la capitale de l’Idumée, au milieu des ruines de Petra, les restes d’une architecture hybride, parfaitement semblable aux monumens de la vallée de Josaphat; mais ceci devient embarrassant. Loin d’être une cité juive, ayant conservé quelques restes de l’architecture hébraïque, Petra n’est qu’une ville arabe devenue complètement romaine sous Trajan, quand il réunit l’Idumée à son empire. De plus, elle fut honorée du haut patronage d’Adrien, prince si enclin à fonder et à construire, et qui lui donna son nom. De là ce théâtre, ces temples ornés de coupoles, ces tombeaux, cet arc de triomphe, ces monumens de toute espèce dont le style fastueux, mais bizarre, excite encore plus l’étonnement que l’admiration des voyageurs. Comment supposer alors que ces édifices, qui marquent si nettement, par leurs nombreux emprunts à tous les genres