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ouvrage que les erreurs de M. de Saulcy sont le résultat d’une imagination inquiète (agifated fancy), qui se laisse entraîner hors de toute mesure...

« A mon retour de Palestine, l’année dernière, dit encore M. Van de Welde, j’écrivis deux lettres, l’une à M. de Saulcy, l’autre à M. de..., afin de faire connaître à ce dernier les fautes de M. de Saulcy. Celui-ci, le seul qui m’ait répondu, m’adressa une lettre très affable, mais dans laquelle il ne me donnait aucun éclaircissement au sujet des questions que je lui avais posées, et il n’en a pas moins continué son étrange et fantastique publication. Je regrette de voir qu’une grande partie du public ait confiance dans ce qu’on lui dit de Sodome et du tombeau des rois »

Le Voyage dans les terres bibliques a été très prôné : dans quel état laisse-t-il les deux questions soulevées aujourd’hui par l’archéologie à Jérusalem, par la science sur les bords du lac Asphaltite ? Nous croyons avoir équitablement apprécié le résultat de cette excursion. Le doute en ce moment reste encore permis sur les deux questions que M. de Saulcy croit avoir tranchées. Son entreprise marque néanmoins de la résolution, du dévouement, une ardeur scientifique qui devient rare, ce nous semble, il s’est égaré en route, voilà ce qui est incontestable; mais s’il a eu foi dans l’existence de Sodome, s’il a cru pouvoir tirer de ses ruines l’architecture hébraïque, où est le mal ? Ce brillant esprit qui domina son siècle écrivait un jour à la célèbre marquise du Deffand : « Madame, je passe ma vie à me tromper. »

Au moment où la crise qui commence en Orient ramène l’attention de l’Europe sur les lieux-saints, est-il permis d’espérer que la science aura quelque profit à tirer de cette situation nouvelle ? Le jour où la Turquie, reconnaissante envers les puissances chrétiennes de l’Occident, se croira obligée de mettre un frein au fanatisme religieux de ses agens; le jour où, sans craindre de perdre la vie, on posera le pied sur l’emplacement du temple caché aujourd’hui par les sombres murailles de la mosquée d’Omar : le jour où il sera permis de pratiquer des fouilles dans les ravins, sur les plateaux qui forment l’assiette de la ville sainte, pourvu toutefois que la nature du sol ne s’y oppose point d’une manière invincible, peut-être alors pourra-t-on parler avec moins d’incertitude de l’antique cité de David et de Salomon. Peut-être le voyageur, en jetant un long et dernier regard sur le cadavre de cette reine déchue, ne sera-t-il plus réduit à s’écrier : Fuit Hierosolyma ! Peut-être aussi sera-t-il permis d’espérer, grâce à l’influence de l’Europe repoussant de plus en plus dans le désert l’ancienne barbarie, que le voile qui recouvre encore la région méridionale de la Mer-Morte sera complètement déchiré. C’est alors que le vœu de Léopold de Buch, qui réclamait il y a quelques années le concours de la Société géologique de Londres afin de rechercher quelle était la constitution de la vallée du Jourdain depuis le lac de Tiberias jusqu’à la Mer-Rouge; que le vœu, disons-nous, de cet homme éminent pourra se réaliser dans toute son étendue. Et pourquoi la Société géologique de Paris ne se réunirait-elle pas alors à celle de Londres ? Pourquoi deux peuples, dont les armes ne font plus qu’un faisceau, ne formeraient-ils point aussi un faisceau de lumières pour éclairer un point qui intéresse à la fois la religion, la physique et l’histoire ?


ERNEST VINET.