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française, arrêter les progrès de l’esprit d’innovation, et même reprendre une partie du terrain qu’avaient déjà conquis les amis des réformes les plus impérieusement réclamées par la justice et la raison ; mais en s’abandonnant à cette réaction au lieu de la diriger, en l’exagérant au lieu de la contenir et de la régler, en la poursuivant aveuglément lorsque des circonstances nouvelles ne permettaient plus d’y persévérer sans péril, ce ministère prépara le discrédit et la ruine du grand parti dont il était le représentant. Le torysme devait en quelque sorte périr avec lui. Depuis la retraite de lord Liverpool, il y a eu sans doute des cabinets conservateurs, il n’y a plus eu de cabinets tories. Le duc de Wellington et sir Robert Peel, dans la résistance qu’ils ont encore opposée aux entreprises du parti réformateur, n’ont lutté, si l’on peut]ainsi parler, qu’à force de concessions. L’impossibilité de maintenir l’ancien édifice des institutions britanniques sans y apporter des altérations essentielles n’était presque plus contestée. Il ne s’agissait plus que de fixer un peu plus ou un peu moins loin la limite des modifications qu’elles devaient nécessairement subir, et ceux mêmes qui pensent qu’on n’y a pas toujours procédé avec assez de circonspection pourraient difficilement nier que le dernier ministère tory, en persistant trop longtemps, trop complètement dans un système déjà frappé d’impopularité, en recourant parfois, pour le soutenir, à des moyens faits pour discréditer l’autorité, avait rendu ce résultat presque inévitable et brisé d’avance les armes défensives entre les mains de ses successeurs.

Ce qui explique de telles fautes et ce qui fait mieux comprendre encore la défaveur attachée à la mémoire de ce cabinet, c’est la médiocrité de la plupart de ses membres. Au milieu des grands hommes d’état et des brillans orateurs qui les avaient précédés et qui se sont assis après eux sur les bancs de la trésorerie, ils ne se font guère remarquer que, par une ténacité qui, à un moment donné, dans des circonstances particulières, a pu être une force, mais qui ne pouvait leur tenir lieu des lumières, des talens, des vues élevées et généreuses dont ils étaient absolument dépourvus. L’éloquence même, qui, depuis près d’un siècle, jetait tant d’éclat sur les combats de la tribune, leur manquait complètement, et l’on ne saurait méconnaître que dans un gouvernement parlementaire, si l’éloquence ne suffit pas pour faire un ministre accompli, elle est une des conditions nécessaires de toute grande position politique.

Lord Castlereagh était certainement fort supérieur à ses collègues. Son esprit avait plus de largeur, et, dans une des principales questions du temps, — celle de l’émancipation des catholiques, — il fit constamment preuve de dispositions libérales qui le mettaient en opposition avec la plupart et les plus considérables d’entre eux. Bien