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du grand mouvement auquel la royauté s’était laissé entraîner. Les sentimens qui animaient ce parti, c’étaient la haine de la France et l’amour de la liberté, dans tous les sens que comporte ce mot. Le but principal auquel il tendait, l’idéal qu’il se proposait, c’était l’organisation de l’Allemagne affranchie en une sorte de puissance unitaire. Suivant lui, l’Allemagne n’avait perdu sa liberté et son indépendance que par suite de son morcellement en une multitude de principautés séparées qui avaient pu s’engager, au gré de leurs vues et de leurs intérêts particuliers, dans des alliances contraires. Si l’on ne pouvait dès à présent y fonder une unité complète, il fallait au moins en approcher autant que possible en groupant celles de ces principautés qui continueraient à subsister autour d’un centre commun qui en aurait la haute direction, surtout dans les rapports avec l’étranger. Comme on n’osait pas dire ouvertement que ce centre commun devait être à Berlin, parce qu’il n’était guère possible de reléguer d’avance au second rang la puissante Autriche, naguère revêtue de la dignité impériale, on mettait en avant l’idée d’un partage qui eût placé les états du midi sous l’influence et le protectorat du cabinet de Vienne, et donné au gouvernement prussien une suprématie semblable par rapport à ceux du nord. La pensée secrète de cette combinaison était que, malgré cette apparente égalité, la Prusse, soutenue par l’esprit de libéralisme et de patriotisme teuton dont elle continuerait à favoriser le développement, ne tarderait pas à prendre au sein du corps germanique un rôle tout à fait dominant. Plus l’étendue de ses possessions territoriales en Allemagne serait considérable, plus cette combinaison deviendrait facile, et c’est ce qui disposait les hommes dont je viens d’indiquer les projets à accepter sans regret, avec satisfaction même, l’échange des provinces polonaises contre la Saxe, dont le roi, en ce moment prisonnier de la coalition, eût été déposé, en châtiment de sa trop longue fidélité à Napoléon. De tels desseins ne semblaient sans doute pas d’accord avec le caractère du roi ; mais le bon sens un peu timide, la loyauté, l’équité naturelle de Frédéric-Guillaume III, ces qualités modestes qui, dans un temps plus régulier, devaient trouver un emploi honorable et utile, étaient peu appropriées aux circonstances du moment. Complètement éclipsé par le brillant empereur de Russie, dont il semblait l’humble satellite, on eût dit qu’il était encore sous le poids des calamités politiques et des douleurs de famille qui avaient attristé pour lui les dernières années. Son ministre principal, le baron, depuis prince de Hardenberg, affaibli par une vieillesse prématurée, se laissait entraîner à l’impulsion des hommes ardens qui rêvaient pour la Prusse des destinées grandioses.

C’était, on le voit, un véritable esprit révolutionnaire qui inspirait