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les conseils de la Russie et de la Prusse, alors même qu’elles prétendaient réagir contre la révolution française. Les vues du cabinet de Vienne étaient bien différentes : l’esprit conservateur, l’esprit d’ancien régime était alors, comme toujours, le fond de la politique de ce cabinet. Guidé par un instinct qui ne lui a jamais fait défaut, il s’effrayait d’avance de cet appel aux passions populaires dont ses coalisés se faisaient, sans scrupule et sans prévoyance, un puissant moyen d’attaque contre Napoléon ; il eût voulu qu’on s’adressât toujours aux gouvernemens, jamais aux populations, et il répugnait surtout à l’idée de s’interposer entre ces populations et leurs princes pour leur faire obtenir des institutions libres, dont, en ce qui le concernait, il était bien résolu à ne pas doter ses propres sujets. Ce n’était pas sans une vive inquiétude qu’il entrevoyait les conséquences d’un arrangement qui, en donnant à la Russie le duché de Varsovie tout entier, en la faisant ainsi pénétrer jusqu’au centre de l’Europe, lui eût ménagé la possibilité d’intervenir efficacement dans les affaires intérieures de l’Allemagne, et eût menacé d’une prochaine absorption les provinces polonaises encore possédées par l’Autriche. Quant à la réorganisation du corps germanique, le cabinet de Vienne était trop prudent, trop circonspect pour ne pas comprendre que l’ancien empire ne pouvait être rétabli purement et simplement, puisqu’il eût fallu pour cela dépouiller les nouveaux rois créés par Napoléon, et qu’on avait intérêt à ménager, d’une souveraineté à laquelle ils attachaient un si grand prix. Aussi, lorsque dans le premier enivrement du succès tout le monde, la Prusse elle-même, avait invité l’empereur François à reprendre le titre d’empereur d’Allemagne, déposé par lui sept ans auparavant, avait-il eu le bon sens et la bonne grâce de s’y refuser ; mais cette abnégation n’allait pas jusqu’à accepter les conceptions étranges de l’ambition prussienne. Le gouvernement autrichien n’eût consenti à aucun prix à cette séparation de l’Allemagne du nord et de l’Allemagne du midi, qui n’était, dans la pensée des novateurs, qu’un moyen d’annuler dès à présent son action dans la moitié du territoire germanique, et dont le résultat le moins défavorable pour lui eût été la scission définitive de ces deux grandes fractions. Ses idées d’ailleurs n’étaient pas encore complètement arrêtées sur la nature des rapports qu’il convenait d’établir entre les princes allemands, dont il voulait qu’on respectât la souveraineté, sauf à médiatiser quelques-uns des moins considérables, c’est-à-dire à incorporer leurs états dans ceux de leurs voisins plus puissans. Il inclinait à croire qu’un système de fédération qui leur garantirait leurs possessions et leurs droits, et, en leur interdisant toute alliance avec l’étranger, ferait en quelque sorte de l’Allemagne une seule puissance au point de vue de l’extérieur, était