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la seule combinaison possible. Il repoussait la pensée de détrôner le roi de Saxe, moins encore peut-être parce qu’il y voyait une inspiration révolutionnaire et anti-monarchique que parce que la Saxe réunie à la Prusse aurait accru démesurément la force de cette dernière dans l’association allemande. Ce que l’Autriche voulait absolument, parce que c’était la condition essentielle de son existence européenne, c’était qu’on ne lui enlevât pas le premier rang en Allemagne ; elle voulait aussi reprendre et agrandir la position qu’elle avait eue jadis en Italie.

C’était vers ce double but que tendaient tous les efforts de M. de Metternich. Agé alors d’un peu plus de quarante ans, il y en avait déjà quatre qu’il dirigeait les relations extérieures de son pays. Son avènement au pouvoir avait coïncidé avec l’intime alliance que l’Autriche vaincue à Wagram s’était vue obligée de contracter avec Napoléon. Par la rupture de cette alliance et par les immenses résultats qu’elle avait entraînés, il venait de jeter les fondemens de la grande position qu’il a occupée en Europe pendant près de quarante années. Cette primauté qui, entre les souverains alliés du continent, appartenait incontestablement à l’empereur Alexandre, M. de Metternich, par une sorte de compensation, avait su l’obtenir parmi leurs ministres. Il les surpassait tous par l’activité et la sagacité de son esprit, par l’abondance de ses idées et les ressources qu’elles lui fournissaient, par la facilité et l’agrément de son commerce, arme si puissante dans la diplomatie, et par sa rare habileté à capter la confiance, à flatter l’amour-propre des hommes dont il croyait devoir s’assurer le concours. Quelques défauts assez graves se mêlaient à ces grandes facultés : on lui reprochait une certaine légèreté qui parfois le jetait bien gratuitement dans des embarras sérieux, et aussi un penchant excessif à l’artifice, à l’intrigue, à une dissimulation souvent superflue. Pour ne pas exagérer sa part de responsabilité dans les fautes qu’a pu commettre son gouvernement, il est juste de remarquer que son influence, bien que très grande, était loin d’être absolue. L’empereur François, sous un extérieur modeste, silencieux et réservé, cachait une volonté tenace ; il ne se mettait pas volontiers en avant, il n’avait pas beaucoup d’idées, mais ces idées étaient très arrêtées, et il n’eût pas été sûr pour ses conseillers de s’en écarter. Jaloux au plus haut point de son autorité, une de ses grandes préoccupations était d’empêcher qu’aucun de ceux qu’il en rendait les dépositaires ne s’érigeât en premier ministre, et de les renfermer tous dans les limites de leurs attributions spéciales. Si plus tard, pour les affaires étrangères, il parut accorder à M. de Metternich une entière confiance, les choses n’en étaient pas encore là, et pendant ces premières années l’ascendant de cet homme d’état était balancé par un parti militaire moins habile et moins modéré.