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Napoléon, profitant de la sécurité exagérée de ses adversaires, réussit à surprendre et à vaincre successivement, dans six combats livrés en huit jours à Champaubert, à Montmirail, à Château-Thierry, à Vauchamps, à Nangis, à Montereau, les corps séparés des deux armées, auxquels il fit éprouver une perte de près de quarante mille hommes. Jamais l’ascendant de son génie ne s’était montré avec plus d’éclat. Les ennemis, malgré leur immense supériorité numérique, n’osaient plus sur aucun point tenir devant lui. Le 17 février, Napoléon, enivré par tant de triomphes, écrivait au duc de Vicence pour lui retirer les pleins pouvoirs qu’il lui avait donnés le 6 et lui enjoindre de ne signer la paix qu’aux conditions de Francfort. Le ton de sa lettre, calculé peut-être, respirait la confiance la plus illimitée ; il y exprimait l’espérance de détruire l’armée autrichienne avant qu’elle eût repassé la frontière ; il y offrait comme une faveur de laisser les ennemis rentrer tranquillement chez eux, s’ils consentaient à signer des préliminaires fondés sur les bases de Francfort.

Ce jour-là même, le congrès de Châtillon reprenait ses conférences si malencontreusement interrompues, et les plénipotentiaires alliés présentaient au duc de Vicence un projet de traité dont la substance était la réduction de la France dans ses anciennes limites. On voit qu’on était loin de pouvoir s’entendre.

Ce qui explique et justifie jusqu’à un certain point les illusions que Napoléon se faisait ou semblait se faire sur ce retour de fortune, c’est le sentiment de consternation et de trouble qui, pendant quelques jours, paralysa les conseils de la coalition. Les victoires de l’empereur des Français n’en étaient pas la seule cause. On croyait voir se manifester, dans la population des campagnes, les premiers symptômes d’un mouvement qui eût placé les alliés dans une position bien dangereuse. Des corps de partisans s’étaient formés en Lorraine et en Alsace, et leurs courses, non moins que les vigoureuses sorties des nombreuses garnisons françaises, interceptaient les communications des armées alliées, dont ils enlevaient quelquefois les convois. En Champagne, en Bourgogne, les paysans, exaspérés par les pillages et les violences des Cosaques et de certaines troupes allemandes, se levaient, s’armaient de tous côtés et massacraient ou faisaient prisonniers les soldats isolés, on voyait même sortir des villes des volontaires qui s’associaient à cette chasse. Lorsque les alliés étaient obligés, par l’approche des troupes françaises, d’abandonner une ville qu’ils avaient momentanément occupée, les habitans tiraient sur eux au moment de leur retraite. Les faibles détachemens qui traversaient les villages étaient aussi en butte à des hostilités. Ce mouvement, en devenant plus général, pouvait susciter de grands dangers aux envahisseurs.

Il y avait à peine deux mois qu’on avait pénétré en France, et