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déjà une grande partie des coalisés aurait voulu repasser le Rhin. Il leur semblait que, si loin de cette barrière, ils n’étaient pas seulement exposés aux hasards ordinaires des combats, et qu’ils couraient des dangers mystérieux auxquels ils avaient hâte de se soustraire. Sir Charles Stewart écrivait à lord Castlereagh que plusieurs des contingens allemands et les chefs qui les commandaient croyaient avoir assez combattu sur le territoire français. Lord Burghersh, aujourd’hui lord Westmoreland, commissaire anglais au grand quartier-général autrichien, racontait ainsi, dans une lettre adressée à ce même ministre, ce qui se passait sous ses yeux : « Nos opérations sont très singulières. Le fait est que nous craignons de combattre… Schwarzenberg voudrait être de retour sur le Rhin… Y retourner sans y être positivement forcé, cela exigerait bien de la force d’esprit pour en supporter la responsabilité ; il reste donc où il est, sans beaucoup d’apparence, je le crains bien, d’y faire grand’ chose… La paix est le cri de tous les officiers de cette armée. Elle est dans un grand état de désorganisation. Le pillage y est arrivé au plus haut degré. »

Cette lettre est d’autant plus digne d’attention qu’au moment où elle fut écrite, le 12 mars, l’armée autrichienne s’était déjà un peu remise du désordre où l’avaient jetée les combats de Nangis et de Montereau. Après ces deux affaires, l’abattement y était si profond, qu’on avait cru devoir faire parvenir à Napoléon des paroles pacifiques par un officier autrichien dont la mission avait pour prétexte l’envoi d’une lettre de l’empereur François à l’impératrice sa fille. L’empereur des Français en avait pris occasion d’écrire lui-même à son beau-père sur un ton de confiance exagérée et presque de bravade contre la coalition. Des conférences s’étaient ouvertes pour négocier une suspension d’armes que les alliés avaient refusée avant leurs derniers revers, mais dont le généralissime autrichien croyait maintenant avoir besoin pour se donner le temps de rallier ses divisions en déroute et de recevoir les renforts qu’il attendait. Ces conférences furent d’ailleurs sans résultat, parce que Napoléon voulait mettre à l’armistice des conditions qui auraient eu pour effet de lui donner une meilleure position militaire, tandis que les alliés voulaient que les deux années gardassent leurs positions actuelles.

Il est juste de remarquer que le découragement dont je viens de parler n’avait pas été général dans les rangs de la coalition. L’intrépide chef de l’armée prussienne, bien qu’il eût éprouvé des échecs aussi graves que ceux du général autrichien, trouvait dans l’activité passionnée qui animait sa vieillesse une force qui le soutenait contre les plus rudes épreuves. Les représentans de l’Angleterre conservaient, au milieu de tout ce désordre, un calme, une présence d’esprit dont il faut sans doute faire honneur au caractère national, mais qui s’explique aussi par cette circonstance, que leur pays n’était pas