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brute que devenir l’esclave abject des erreurs et des passions d’autrui. »

Baius eut le tort de publier ses réponses sans les lettres de Marnix, et de se donner ainsi une facile victoire. Il eut un tort plus grand : ce fut d’affecter une pitié méprisante pour les novateurs. Il avait couvert du nom de fraternité chrétienne l’orgueil du docteur. Marais fut indigné ; il donna depuis ce moment à la discussion un ton rude et véhément qui contraste avec la méthode géométrique par laquelle il avait débuté. À ce mot de fraternité, prononcé au milieu des massacres, il répond par une malédiction ironique :


« Votre pitié ! votre fraternité chrétienne ! Si je voulais en parler en détail, je montrerais aisément combien vous avez surpassé la férocité des barbares ; mais je ne souillerai pas notre discussion d’une si odieuse histoire. Sans que nous prenions la parole, les choses crient assez haut, témoin tant d’édits impitoyables frauduleusement arrachés aux rois et aux princes pour nous exterminer, témoin tant de provinces et de contrées répandues dans tout l’univers qui ont reçu à leurs frontières plus de soixante mille des nôtres privés de leur pairie et de leurs biens, de leurs femmes, de leurs enfans, et accablés de tous les genres de calamités ; témoin les massacres, le carnage de ceux que, sans différence ni de sexe ni d’âge, l’eau, le feu, les gibets, la fosse, les tenailles ont dispersés en France, en Allemagne, en Angleterre, en Espagne et jusqu’aux extrémités des Indes ; témoin nos lamentables guerres civiles, dans lesquelles vos pontifes romains et vos sublimes majestés, pour conserver en paix leurs fastes et leurs délices, n’ont cessé de porter leurs torches funèbres, pendant que l’univers chrétien presque tout entier se déchire les entrailles ; témoin enfin ces fameuses tables de proscription de Philippe, roi des Espagnes, où de toutes parts il provoque contre nous les empoisonneurs, les sicaires, les parricides, les sacrilèges, en un mot tout ce qu’il y a de scélératesse parmi les hommes, au meurtre, à l’assassinat, à l’empoisonnement. Et ce n’est pas seulement l’impunité qui est assurée à tant de forfaits, mais encore une immense récompense ! Si c’est là votre pitié, votre fraternité chrétienne, je ne puis comprendre ce que sera votre cruauté[1]. »


En France, en Suisse, en Allemagne, c’étaient des prêtres qui avaient fondé la théologie nouvelle. On fut étonné de voir dans les Pays-Bas un homme du monde, un diplomate, un homme de guerre parler avec l’autorité d’un prêtre. L’auteur du compromis des nobles devenait le fondateur de l’église batave. Cet apôtre était un laïque, et cela contribua à donner à l’église hollandaise son caractère particulier entre toutes les églises de la réforme. Marnix se distingue de l’église allemande par son opposition à toute interprétation mystique, de l’église de Genève par son génie cordial. Il a la simplicité d’un vicaire savoyard protestant, ni les superstitions antiques, ni

  1. Marnixii Responsio, p. 410.