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les exaltations nouvelles, — le sens droit d’un homme d’affaires dans un christianisme primitif. Non content d’unir les luthériens et les calvinistes, il protège même les anabaptistes, et répand ainsi dans les fondemens de la réforme néerlandaise une ébauche de cette église libre qui s’épanouit aujourd’hui avec tant de puissance aux États-Unis. Les Hollandais lui doivent l’esprit nouveau par lequel ils ont rompu les derniers liens de la hiérarchie sacerdotale. Dans un livre plein de piété pour sa mémoire, écrit il y a peu d’années par un savant ministre d’Amsterdam[1], je rencontre ces mots qui sont comme le texte de l’ouvrage : « Je contemple avec vénération le rang élevé qu’occupe Marnix dans notre histoire. Après lui, Guillaume Ier et Guillaume III ; après eux, sous la bénédiction de Dieu, la prospérité et le salut du protestantisme ! »

L’originalité de Marnix comme théologien est d’affranchir le calvinisme de l’esprit puritain. Selon lui, le caractère sombre, atrabilaire du calvinisme, voilà le grand obstacle à la victoire des réformés. Lorsqu’il a converti le prince d’Orange, ce dernier lui a longtemps opposé le rigorisme genevois comme le bouclier d’Ajax. Lui-même, Aldegonde, déclare que la morosité[2] calviniste est le contraire de sa nature, portée aux rires, aux jeux, à la jovialité brabançonne[3]. Il veut un christianisme serein, aimable, enjoué, qui ne défende rien de ce qui n’est pas formellement défendu par l’Évangile. C’est lui qui a dû prononcer ce mot répété depuis : « Il ne suffit pas que vous soyez aimable pour Dieu ; faites que les hommes en voient aussi quelque chose. » Aussi ce rigide théologien se plaisait-il à la danse[4] au grand scandale des docteurs et des pharisiens, qui ne manquaient pas de lui reprocher qu’un pareil divertissement s’accordait mal avec la gravité de sa position, à quoi il répondait dans ses vieux jours : « Je ne me suis jamais fait scrupule dans aucune situation de récréer mon esprit et de réparer mes forces après le travail et les études par la course, par les jeux, par des gestes risibles et même par la danse au son de la guitare. Si l’on me prouve que j’ai péché en cela, je tâcherai de me corriger, bien qu’il soit difficile à mon âge de revêtir une autre personne que celle qui a été la mienne jusqu’ici. »

Un plan d’éducation qu’il adressa à Jean de Nassau, et que j’ai lu en manuscrit à la bibliothèque de Bruxelles[5], complète heureusement les œuvres religieuses de Marnix. On y trouve une foule d’aperçus

  1. Wilhelm Broes, Filip van Marnix, I. II, p. 351.
  2. Inveterata illa de nostra morositate opinio. Illustr. et claror. Viror. Epist, select, p. 759.
  3. Nisi forte mibi, ad jocos ac festivitatem brabantinam nato. Ibid.
  4. De disciplina ecclesiastica deque choreis. Epist. select, p. 753, 760, 766.
  5. Ratio instituendoe juventutir.