Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/729

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les clés, les métiers prétendirent « qu’il usurpait leurs droits et voulait se rendre maître de la ville[1].

Cependant le plan du duc de Panne se dévoilait. Ce que le conseil d’Anvers avait jugé chimérique, Farnèse allait le réaliser. Il avait commencé le blocus d’Anvers avec seize mille hommes d’infanterie et dix-sept cents chevaux ; mais ces troupes devaient être augmentées par celles qui arriveraient du reste de la Belgique à mesure que les autres villes succomberaient, et les soixante-dix mille hommes qui faisaient le fond de l’armée espagnole entrèrent en effet peu à peu dans les rangs des assiégeans. Farnèse se proposait, ce qui semblait d’abord extravagant, de fermer par un pont de pilotis le fleuve à la fois marchand et guerrier de l’Escaut ; c’était un fossé à couvrir de deux cent cinquante pieds de largeur, de soixante de profondeur, qui croissait encore de douze pieds à la haute marée. Sur une plage sans bois, sans bateau, comment tenter un ouvrage semblable ? Alexandre Farnèse emploie son armée à creuser les canaux par lesquels il fait arriver les bois de construction ; il établit sur les deux bords deux estacades, l’une de six cents pieds de long, l’autre de onze cents ; restait un intervalle de six cents pieds qu’il remplit par un pont de bateaux ; le tout était défendu par des lignes de grandes barques armées de pointes de fer à la proue et à la poupe. Deux forts élevés aux deux extrémités, quatre-vingt-dix-sept pièces d’artillerie, quarante vaisseaux de guerre rangés sur les deux rives, quinze cents hommes protégeaient les travaux ; ils avaient été placés à trois mille deux cents toises d’Anvers et au coude du fleuve, de manière à n’avoir rien à craindre du feu des remparts.

Que faisait la flotte hollandaise ? C’était le moment pour elle de déboucher alors que les constructions ébauchées du duc de Parme n’étaient point encore affermies dans le fleuve. L’apparition des lourds vaisseaux des Hollandais eut promptement dispersé les travailleurs du duc de Parme ; mais pas une voile ne se montra, et une si grande inertie est encore une énigme aujourd’hui. Malgré les lettres pressantes, désespérées de Marnix, l’amiral zélandais Treslong s’obstina à ne pas sortir des forts ; on ne reconnaissait plus en lui l’ancien vainqueur de La Brille. Ainsi abandonné par la flotte, que pouvait Marnix ? Il reprend sur la rive gauche le fort de Liefkenshoeck, qui lui avait été enlevé, et il envoie, le 10 avril 1584, l’ordre signé de sa main de construire sous la protection de ce fort une batterie pour prendre en flanc les travailleurs sur les deux estacades. Cet ordre formel et qui existe fut encore une fois méconnu. Il s’embarque de sa personne sur la flottille d’Anvers et commande deux attaques contre le pont.

  1. Bor., Authentyke Stukken, p. 407.